Les érables et les bleuets n’ont pas les senteurs
Des figuiers et des oliviers - 1 -.
Depuis quelques années, les figuiers et les oliviers, ne font plus partie de ton environnement naturel, comment vis-tu cette privation ? Parce que je pense que tu es privé de quelque chose qui a toujours fait partie de ton environnement ?
‘’Foufff !’’ C’est par une profonde expiration qu’il se prépare à répondre à mes questions, comme pour exorciser une insignifiance ou extirper cette sensation que chacun ressent lorsque dépité ou irrité par quelque chose qu’il ne peut évacuer. Le Numide, comme à son habitude, songeur et réfléchit, se met à parler de sa voix assurée et calme. ‘’Ce n’est pas seulement une privation c’est aussi et surtout l’impression de l’imperfection de la nature. Comme une déformation ou mieux encore une anomalie dans cet environnement qui pourtant est riche d’autres espèces d’arbres et de plantes. Mais pour moi il est évident que l’habitude de voir les oliviers et les figuiers, mais aussi les orangers et les citronniers c’est cela qui fait la nature.’’
Mais qu’est ce qui te manque le plus, est ce l’aspect physique ou… ? Sans me laisser terminer ma phrase il poursuit ‘’ Non, comme pour ce pays d’accueil, lorsque c’est la période de collecter le sirop d’érable ou cueillir les bleuets …c’est tout ce qui se fait autour de cette tradition de collecte qui me manque. C’est durant ces moments que les relations sociales et la solidarité se façonnent. Tout ce qui se crée et qui rapproche les membres de la communauté.
D’où je viens, dés les prémices de l’automne commencent les préparatifs de la récolte des olives et des figues; pour les figues, par exemple, il faut un accord de Tajma’at (assemblée du village) pour débuter la récolte. Celle-ci commence le même jour pour tous. C’est la fête parce que nous en tirons une partie de notre subsistance. Un numide sans huile d’olive et sans figue – primeur et fin de saison – n’est pas intégral. D’autant plus qu’avec la tradition ancestrale la religion est venue consacrer le figuier et l’olivier. Ils sont bénis de Dieu. Ils donnent les meilleurs fruits que porte en elle la terre nourricière. Ils sont symboles de l'homme universel. L'huile d'olive est source de lumière divine.
Alors, il faut comprendre que ce n’est pas seulement l’olive ou la figue, en tant que telles, qui ont leur importance mais toutes ces conventions, ces valeurs et ces mythes qui ont été érigées autour de ces deux arbres et de leurs fruits depuis des millénaires et qui différencient les Nord Américains des Méditerranéens’’.
Le Numide s’arrête un instant. Il me dévisage et de son regard pénétrant me fixe dans les yeux. C’est un regard sondeur, et aussi paradoxale que cela puisse paraître, plein d’un mélange de tristesse et de satisfaction. J’ai la sensation qu’il me scrute jusqu’au plus profond de mon être. Un long silence fige le temps et le mouvement.
Ferid Chikhi