SOCIÉTÉ
Le contre-courant de l’islamisme, c’est de militer en faveur de la laïcité
Mahfoudh Messaoudène *
Publié le 19 avril 2022 Par ADN MED
Dans un essai intitulé : Fenêtre sur l’islam, Ses musulmans,
Laïcité et Citoyenneté
Afin de mieux éclairer un phénomène
déstabilisant, souvent ambigu et mal compris, l’auteur a mis la focale sur les
sources et les symptômes du problème. Il a exposé des faits historiques et des
éléments analytiques pour orienter le lecteur sur une problématique qui suscite
inquiétudes et perturbations dans les vies individuelles et collectives. La
laïcité et la citoyenneté sont parmi les sujets essentiels qu’il s’est engagé à
défendre dans sa société d’accueil le Québec après s’y être impliqué en Algérie
pour éclairer un débat qui peine à s’installer dans la lucidité et la liberté.
Ferid Racim Chikhi a quitté l’Algérie
depuis une vingtaine d’années pour s’installer au Québec avec sa famille. Il
s’est mobilisé dans l’Association Québécoise des Nord-Africains pour la Laïcité
(AQNAL) avec d’autres militants pour prévenir les Québécois sur le danger de
l’islamisme, parcours qui a conduit à l’écriture de cet essai.
Dans le préambule, l’auteur précise que
son livre est destiné particulièrement aux Québécois qu’il veut aider à faire
une distinction entre les nombreuses confusions, informations erronées et
autres fausses explications venant soit des médias occidentaux culpabilisés par
la séquence coloniale soit des organisations internationales infiltrées par le
lobbysme islamiste.
Son passage à l’Assemblée nationale du
Québec d’abord à titre individuel ensuite comme représentant du Rassemblement
pour la Laïcité et enfin en tant que membre d’AQNAL, où ses études sur la
question des accommodements religieux ont été assumé comme un engagement
citoyen. Se battre contre l’islamisme et soulever en même temps la
problématique de l’appréhension de la religion musulmane dans la société est,
en effet, un grand défi sociétal à la base de la construction d’une
collectivité qui doit respecter, intégrer et se protéger. Par ses interventions
lucides et sans complaisance, l’auteur a interpellé les élus sur les risques
d’un amalgame qui a toujours joué en faveur d’activistes qui instrumentalisent
les accommodements raisonnables à savoir les islamistes et les candidats au
parlement qui se cherchent des votes d’obédience communautaire. Position
délicate car il faut faire avancer le débat en dénonçant les intentions de ceux
qui cultivent les conduites victimaires, en cassant les tabous négateurs
d’échanges adultes et loyaux et, dans le même élan, en luttant contre la
stigmatisation et en faisant la distinction entre l’islam et l’islamisme.
Cet ouvrage est un pare feu
Cet essai est sans doute un cas d’école
nécessitant une attention particulière. C’est un dictionnaire de bonne
vulgarisation qui donne des définitions et explications de concepts galvaudés
par les polémiques à travers une approche sociologique, philosophique,
historique mais aussi religieuse pour chacune des thématiques et des points
nodaux qui structurent et irriguent l’islam politique. En fait, cet ouvrage est
un pare feu qui aide à soumettre au champ des débats libres les insinuations et
autres pollutions par lesquels les courants religieux imposent des opinions en
dehors de la bataille des idées sans laquelle aucun libre arbitre ne peut être
construit en connaissance de cause.
La narration restitue quelques repères
essentiels à la saine compréhension des processus constitutifs des diverses
tendances qui s’emploient à répandre leur doxa dans le monde. Le wahhabisme, le
salafisme et le khomeynisme sont trois doctrines apparues au milieu du XXième
siècle et qui se disputent aujourd’hui les sociétés transformées en champ de
bataille.
L’auteur relate comment, avec les
années, ces trois courants extrémistes ont radicalement bouleversé les sociétés
dans les États du sud avant d’atteindre des pans entiers des pays du nord pour
des considérations, à la fois, politiques, économiques et géostratégiques mais
dont, au fond, la finalité est de prendre revanche sur une histoire du monde à
laquelle le radicalisme islamiste estime devoir infliger sa suprématie.
Ferid Racim Chikhi qui analyse les dégâts
provoqués par l’islamisme dans les pays d’origine explique qu’en empêchant les
sociétés de progresser vers la voie démocratique, on creuse des écarts entre
les communautés migrantes et la société d’accueil comme on peut le voir au
Québec.
On comprend alors qu’en étouffant la
démocratie dans les terres d’islam, le fondamentalisme investit objectivement
dans une stratégie qui aliène les sujets chez eux et les conditionnent à porter
le fer contre le monde des Infidèles le jour où les circonstances les y
conduiront.
« Les prophètes
ont été les premiers à s’indigner et les premiers à désobéir aux ordres établis
».
Ne voulant pas s’extérioriser du champ
d’études, Ferid Chikhi qui s’immerge dans l’humus théologique, rappelle : « Les
prophètes ont été les premiers à s’indigner et les premiers à désobéir aux
ordres établis ». Cette citation a une vocation évidente : désarmer les
propagandes islamistes qui accusent d’’islamophobie tous ceux qui critiquent la
religion. Au Québec, plus qu’ailleurs, cette ruse qui relève d’une forme de
terrorisme intellectuel a mis les politiciens et une partie non négligeable de
l’opinion dans une position de prudence, ce qui amène à éviter toute critique
de l’islam et sa pratique alors que les autres cultes sont soumis au tamis de
la raison. Cet interdit créé un climat dont l’impact est immédiat :
l’islamisation, qui ne peut faire l’objet d’aucune remarque, est un sujet
tabou, ce qui mécaniquement en facilite la propagation.
L’islamisme
n’est pas une tumeur bénigne
L’ouvrage remonte la stratégie islamiste
en en situant les origines de façon pragmatique. Le rappel de la citation de
Youssef El-Qardaoui, le prédicateur égyptien installé au Qatar, pose les enjeux
: « Avec vos lois démocratiques (civiles), nous vous coloniserons. Avec nos
lois islamiques (coraniques), nous vous dominerons ». L’islamisme n’est pas une
tumeur bénigne alerte l’auteur. En se positionnant comme connaisseur de l’islam
et victime de l’islamisme, il met en évidence une singularité tirée d’un vécu
qui a laissé des stigmates toujours visibles sur la société algérienne dont il
est originaire.
Les méthodes utilisées par les
islamistes en occident sont identifiées en tant que déclinaisons de préceptes
édictés par les tuteurs comme Al Qrardaoui. : « Cependant, la stratégie des
islamistes, l’instrumentalisation de leurs femmes y compris, sait utiliser les
insuffisances des législations et les lacunes des institutions ainsi qu’une
certaine naïveté des agents de l’État et des employés du secteur parapublic »,
écrit Chikhi.
La femme voilée est devenue un objet de
lutte, de polémique et de convoitise. Un atout majeur qu’on exhibe afin de
mettre sur la défensive la société occidentale et ses dirigeants, tactique qui
ouvre la voie à d’autres exigences communautaires.
Autre fait relevé dans l’essai et qui
est en train de faire son apparition également au Québec : la relation contre
nature des islamistes avec la gauche qui en devient un précieux relais
politique et médiatique. En perte de vitesse dans un monde dont elle n’a pas
anticipé les évolutions, la gauche québécoise tente de reconstituer une base sociale
et électorale autour du fondamentalisme.
L’auteur qui a longtemps suivi les
méandres institutionnels de son pays d’accueil dévoile une inclination
autrement plus inquiétante puisque la dérive ne concerne plus un courant
politique mais des institutions. Ferid Racim Chikhi signale une tentation qui
gagne de plus en plus de terrain : des communautés étrangères auxquelles est
proposée une intégration fondée sur la religion plutôt que la citoyenneté.
Des références à
ne pas négliger
L’avertissement à un Québec dont la
tolérance vire quelques fois au laxisme est clair : l’islam politique aura de
beaux jours devant lui si on continue à le nier en tant que menace majeure pour
l’ordre démocratique ou si l’on perpétue le déni en réduisant les dérives de
ses promoteurs à des incartades folkloriques.
Ferid Chikhi parle au migrant comme au
Québécois. Il rappelle les leçons d’autres acteurs tout en les liant pour leur
donner le continuum nécessaire à la perception d’un péril qui se répand dans le
temps et l’espace avec méthode et minutie.
En citant deux érudits de réputation
mondiale Soheib Bencheikh qui été la cible des islamistes et Mohamed Arkoun,
l’Algérien qui a été chassé par l’Égyptien El-Kardaoui d’une conférence sur
l’islam organisée à Alger en 1980, il en appelle à la mémoire pour nourrir
l’espoir. Et d’autres esprits comme Ghaleb Bencheikh, Malek Chebel et Naïma Dib
qui ont porté la parole de vérité sont également invoqués pour que leurs
pensées soient additionnées comme des pierres qui construisent la maison de la
raison. Un travail long qu’il faut entreprendre avec solidarité et patience car
il s’agit de faire naitre la citoyenneté dans un espace musulman livré à la
rancœur, au populisme et à la démagogie.
Ferid Racim Chikhi qui assume son
engagement nous délivre un message : évitons d’être naïfs ou polémistes ;
soyons clairs car on n’a pas trouvé mieux que la laïcité pour protéger l’homme
des dégâts de la confiscation du culte.
*Mahfoudh Messaoudene,
journaliste.
*Ferid Racim Chikhi est analyste senior,
Groupe d’études et de réflexions Méditerranée Amérique du Nord (GERMAN).
Fenêtres Sur l’islam Ses musulmans Ses
Islamistes
Édité à compte d’auteur chez Bouquinbec
https://boutique.bouquinbec.ca/fenetres-sur-l-islam-ses-musulmans-ses-islamistes.html
269 pages = 29$Can
Entrevue avec l’auteur.
1.
Cela fait vingt ans que vous êtes installé au Québec
avec votre famille. Qu’est-ce qui vous amené à rejoindre AQNAL ?
Depuis que j’ai quitté l’Algérie, via
l’Allemagne, j’avais pris la résolution de me tenir éloigné de la militance et
du monde politique. Mais, comme on dit : Tu chasses le naturel il revient au
Galop. En fait, l’association québécoise des Nord-africains pour la laïcité a
été créée spontanément en 2012, en raison du vide face aux islamistes qui, dès
2008, se sont manifestés pour parler au nom de tous les musulmans du Québec. Ça
m’a irrité au point que je suis revenu sur le terrain de la militance pour
œuvrer en faveur de la laïcité.
En 2011, je suis intervenu, comme simple
citoyen, à la commission des institutions de l’Assemblée nationale pour attirer
l’attention des élus sur le phénomène islamiste qui germait dans la province et
notamment à Montréal. Mais mis à part quelques-uns, les autres se sont montrés
intéressés mais restés inactifs. En 2012, le gouvernement de Mme Marois a tenté
de baliser les ‘’accommodements raisonnables’’ qui allaient vite devenir
‘’déraisonnables’’ le halal, le yajouz, le haram sont devenus des concepts
utilisés ici et là, notamment dans les quartiers à forte concentration de
musulmans.
Des débats, des conférences, des
manifestations ont été organisés et c’était avec satisfaction que j’ai constaté
que ce n’étaient pas tous les Québécois qui étaient favorables aux quelques
islamistes qui, aidés de certains médias, faisaient dans la provocation. Les
Québécois, savent que lorsque la religion prend trop de place des pans entiers
de la population y perdent leur raison. Pendant plus d’un demi-siècle ils ont
déconfessionnalisé l’éducation nationale et la politique sans que la tradition
judéo-chrétienne ne perde ses repères mais voici que les islamistes font parler
d’eux à grands coups de publicité victimaire culpabilisant au passage les Québécois
et toute la société d’accueil.
En 2012, lors d’une conférence sur la
laïcité, nous étions nombreux venus d’Algérie, du Maroc, d’Égypte, de Tunisie
et de France (Franco-Algériens, Franco-Marocains, Franco-Tunisiens, etc…) à
avoir exprimé nos inquiétudes contre les agissements des groupes islamistes.
C’est là que l’idée d’une association regroupant au départ une centaine de
personnes est mise en place et avec un petit groupe nous avons évoqué
l’appellation de Nord-Africains pour nous démarquer de Maghrébins avec la
connotation que nous lui connaissons. Très vite nous conquîmes des espaces
d’échanges pour nous exprimer et faire part de nos expériences passées à lutter
contre l’intégrisme. Nous sommes vite devenus, je dirais incontournables pour
tout ce qui concerne la laïcité.
2.
Avez-vous constaté des différences dans la façon
d’intégration selon l’origine des citoyens issus des 3 pays d’Afrique du Nord.
Il faut juste préciser qu’au Québec,
nous comptons quatre pays de l’Afrique du Nord : L’Algérie, l’Égypte, et le
Maroc et la Tunisie. Les différences dans la façon de s’intégrer dépendent des
individus et de leurs approches de la société d’accueil. Cela dépend aussi de
leur propre communauté. Qu’ils soient Algériens, Marocains, Égyptiens ou
Tunisiens ; il y a ceux qui se démarquent par leur éducation, leur instruction,
leur sociabilité. Il est vrai que presque tous les Nord-Africains arrivés au
Québec sont très instruits, ils ont une bonne culture, je dirais,
‘’internationale’’, d’autres diront, universelle. Ils ont étudié en français et
maitrisent parfaitement l’arabe et un grand nombre maitrise aussi l’anglais. Il
y a ceux qui sont venus au Canada et s’intègrent comme Canadiens ; il y a ceux
qui sont venus au Québec, tout en étant citoyens Canadiens et préfèrent vivre
en français. Cependant, ceux qui se sont regroupés dans ce qui est qualifié de
Petit Maghreb, il est évident que le poids de leurs pays d’origine est
prégnant. Ils vivent ‘’l’incertitude dans la certitude communautariste’’. Il
faut juste savoir que presque tous les Nord-Africains ont l’esprit entrepreneurial
; s’ils ne sont pas employés dans les entreprises québécoises et canadiennes,
s’ils ne sont pas dans l’enseignement ou la santé, ils ont créé leurs commerces
et leurs entreprises et ils en vivent bien. Toutefois, ils ne partagent pas
toutes les valeurs québécoises. À mon humble avis cela relève de la crainte de
perdre les leurs.
3.
Depuis quand avez-vous pensé ce livre ?
Au départ, vers la fin des années 2000,
je ne pensais qu’à rédiger quelques articles que je publiais, ici et là, sur
des journaux électroniques comme le Huffington post Québec. Par la suite en
2016, quelques-unes de mes réflexions ont été reproduites partiellement par, à
titre indicatif, ‘’Le Courrier International‘’, notamment celui intitulé :
Pourquoi les musulmans ne parlent pas ?
Cet article a par la suite, été repris
intégralement dans un livre collectif
https://boutique.courrierinternational.com/la-boutique/livre-l-islam-en-debat.html
C’est en 2017, que l’idée de me lancer
dans l’écriture de cet essai a émergé et s’est très vite concrétisée.
4.
En avez-vous des échos si oui quels en est la
nature.
Absolument, au Québec, plusieurs de ceux
qui l’ont lu m’ont fait part, par écrit, de leur satisfaction et presque tous
m’ont dit ce qu’ils avaient appris comme différence entre Islam et Islamisme ou
sur les pratiques des différents rites qui font la diversité au sein de
l’Islam, les pratiques sociales de l’Islam de l’Asie et celui de l’Afrique du
Nord.
5.
Avez-vous noté une volonté de transmettre une
mémoire des pays d’origine des parents vers les enfants ? Y a-t-il d’autres
référents que le religieux dans cette mémoire ?
Lorsqu’il s’agit d’un écrit qui devient
public, il y a forcément une histoire, une mémoire, un pan du patrimoine qui
sont transférés à ceux qui lisent. Mais, il faut reconnaitre que contrairement
aux Québécois, aux Canadiens, aux Nord-Américains et même aux Européens pour
qui le livre fait partie des instruments de transfert du savoir et de la
connaissance, les lecteurs Nord-Africains restent dans l’oralité. Quelques
lecteurs algériens qui l’ont lu m’ont fait part de leurs impressions très
positives mêmes s’ils en connaissent des pans entiers. Ils ont eu plaisir à
lire quelques-unes de mes réflexions, surtout le chapitre sur Karn Arba’tache.
Et pour la seconde partie de votre
question, il y a bien entendu d’autres référents que le religieux dans cette
mémoire. Prenez note que pour la transmission de l’histoire et du patrimoine
algérien, des parents vers les enfants, nous avons avec un groupe de
compatriotes qui créé un Écomusée de l’Algérie. Il prend petit à petit forme.
Nous le destinons d’abord à la communauté algérienne du Québec et bien entendu
aux Québécois. Mais, il n’est pas exclu qu’une extension soit envisagée avec
nos frères Tunisiens et Marocains, notamment en raison du partage
civilisationnel de Tamazgha.
Merci pour cet échange.