L’exploration de l’autre -2-
Ils ne savent rien de nous.
Après l’euphorie de l’arrivée, Oksana a frisé la dépression parce que tout son savoir et son savoir faire ont été rejetés du revers de la main par des recruteurs y compris d’institutions gouvernementales, des employés et même le registrariat d’une université, même si après mille et une démarches elle a fini par accéder à une inscription en doctorat. Cela n’a pas empêché certains professeurs de lui faire faire des travaux de recherche qu’ils ne pouvaient mener à terme selon leurs propres compétences. Le résultat est simple à deviner : appropriation indue des conclusions de ses recherches.
Dés le début de sa dépression elle m’a fait part de son désarroi. Nous avons échangé sur la frustration qu’elle ressentait parce qu’elle ne trouvait pas un emploi en conformité à ses attentes. Lorsque je lui ai suggéré de rencontre un psy elle a souri, me regarda droit dans les yeux et me lança visiblement excédée : crois tu que je peux leur faire confiance ? Ils ne savent rien de nous. Elle me rappela qu’une fois inscrite au doctorat en informatique, les employeurs qu’elle a contactés ne voyaient que celui avec lequel elle est arrivée au Québec mais non reconnu à sa juste valeur. Ils la remercièrent d’avoir offert ses services mais personne parmi eux ne voulait la recruter sauf pour un emploi de technicienne niveau collégial.
Un jour elle a étalé sept des qualificatifs qu’elle connaissait pour exprimer sa colère et sa frustration : Insatisfaction. Tristesse. Contrariété. Désagrément. Chagrin. Désillusion. Dépit. Une fois énumérés dans le désordre elle les a classés par ordre alphabétique : Chagrin, contrariété, dépit, désagrément, désillusion, insatisfaction, tristesse. Voilà, me dit-elle, le mur que je dois abattre pour être acceptée avec mes valeurs, mes compétences et mon expérience. Quelques temps après elle s’est mise à les proposer en mots croisés.
Dans nos discussions nous avons comparé ce que nous avons laissé derrière nous en quittant nos pays respectifs. Je cite Oksana, comme je pourrais parler de Simon un Ivoirien, Jean Jacques un Français originaire de Madagascar, ou encore Svetlana une Serbe, Mirela une Lithuanienne, Shérif un Bosniaque, Geneviève une Congolaise et bien d’autres … je le fais parce que récemment, mon frère Lamine, m’a invité à poursuivre ma réflexion en mettant en exergue Ce qui manque fondamentalement aux pays du Sud et qui se doit d'être réalisé (ou concrétisé ou encore réuni) pour qu'ils gardent leur jeunesse.
Il est vrai que l’idée m’a interpelée et avant d’aborder cet aspect des choses je me suis laissé prendre par les premières images qui défilèrent devant moi. …
A suivre
Ferid Chikhi