Le premier printemps sans Elle …
Son dernier au-revoir
Aujourd’hui, je ne lui ai pas parlé comme chaque printemps. Depuis le 1er mai 1999, je l’appelais et conversais avec Elle le temps de passer en revue toutes les bonnes nouvelles, parler de la santé des plus âgés de la famille, de celles et ceux qui étaient malades et, je lui souhaitais un joyeux anniversaire. Celui de ma naissance. Elle me répétait sans s'en lasser '’mais c’est le tien‘’. Je convenais avec elle que c’était un moment de fête et de joie pour Elle et pour Papa. Elle acquiesçait par un ‘’c’est vrai’’. J’enclenchais par un ‘’dis moi, aujourd’hui, quel est le moment le plus agréable dont tu te souviens, à l’instant …’’, et avec une pincée d’un sourire presqu’imperceptible et que je devinais sur son visage elle me répondait, ‘’Ah ! Il faisait très beau ce jour là. Un moment radieux de printemps comme on n’en voit plus’’.
Je poursuivais par un ‘’Mais quoi encore ?’’ ‘’La famille, disait-elle, les gens et les amis étaient contents et heureux.’’ En poursuivant mon questionnement Elle m’avouait que ma naissance, Elle l’avait souhaitée et attendue plus de cinq années depuis celle de Beïda, sous le regard accommodant des femmes de la famille. ‘’Arezki, mon père, devait avoir un garçon, pensaient-elles, même si Beida les comblait de bonheur, mais elles n’osaient pas aller à l’encontre de l’avis de ma grand-mère - Djoher - Nana, pour tous - qui chérissait mon père et qui par ricochet les adorait Elle et ma sœur''.
Elle m’a souvent répété que ‘’ce 1er mai 1949, était un jour de printemps radieux, plein de soleil. Les oiseaux gazouillaient dans les arbres. Les hirondelles voletaient dans le ciel de Batna. Les youyous stridents exprimaient la joie débordante des femmes et emplissaient tous les espaces de la maison. Les visites des membres de la famille, des proches et des ami(e)s étaient discontinues durant plus d’une semaine. Mon père, généralement discret, ne cachait ni sa joie ni son bonheur et son ravissement était partagé par tous’’.
Chaque printemps, en chacun de ces 1er mai, depuis la fin du dernier millénaire, malgré la distance qu’elle seule savait combler par ses mots, ses silences et ses non-dits, nous nous parlions. Un intervalle ''espace et temps'' qui nous séparait mais qui était selon sa propre définition un intervalle de connexion, de rapprochement et de communion. Un moment de proximité maternelle, qu’elle seule savait remplir par son écoute et ses conseils bien à-propos. Un bonheur que je n’avais jamais ressenti auparavant lorsque j'allais chaque année lui rendre visite en ce jour spécial et que depuis je vivais intensément lors de chacun de ces appels.
En ce jour de printemps 2011, la tristesse m’a envahie aux aurores. Puis, à 7 heures du matin, heure de ma venue en ce bas monde, j’entendis les gazouillis des oiseaux et son souvenir m’envahit. Un moment de vérité comme j’en ai rarement vécu … Depuis plus de dix ans, à distance, nous nous parlions et nous apprécions cet instant de plaisir, mais aujourd’hui, je ne lui ai pas parlé comme chaque année depuis mon 1er mai passé en terre germanique et depuis 10 ans passés en terre Canadienne. Elle s’en est allée en septembre dernier avec un dernier au-revoir ... Les larmes, à elles seules, pourront-elles un jour diluer ces laps de temps et les souvenirs qui les habitent ? J'en doute.
Ferid Chikhi