Transformations internationales :
effets en fonction de la posture de l’Algérie
Le Président Tebboune et l'Ambassadrice US a Alger
Cette contribution déroule sous forme de synthèse des éléments que je qualifie
de sensibles par leurs interrelations et que rencontre l’Algérie en ce début de
2024. Une nouvelle année qui présente des caractéristiques en lien avec les
changements majeurs que vit le monde. Les effets des transformations
internationales sur le plan notamment géopolitique pourraient avoir des
répercussions positives en fonction de la posture de l’Algérie au double plan
interne et externe.
Le propos ne se veut en aucune manière une
médisance. Il se veut plus l’expression d’une opinion ou encore du fossé qui
existe entre les décisions et les apports de l’institution présidentielle et
gouvernementale, la lenteur de leur mise en pratique, peut-être en raison du
manque d’un échéancier et d’un système d’évaluation des opérateurs.
Nul ne saurait occulter que le monde est
actuellement dominé par le génocide que commet l’entité sioniste et ses
protecteurs anglo-saxons et euro-étasuniens contre les Palestiniens, et même
les pays qui ont vécu ou vivent encore la guerre sont effacés des supports
médiatiques les plus en vue dans le monde occidental pour mettre en évidence
les actions sauvages d’Israël contre des civils innocents. Pour sa part,
l’Algérie, égale à elle-même, poursuit son soutien aux peuples opprimés et
regarde l’avenir avec confiance. Du moins, c’est ce qui ressort du premier
discours sur l’état de la nation, prononcé récemment par le président de la
République, devant les deux chambres parlementaires réunies pour la
circonstance.
Un
premier discours sur l’état de la nation
Depuis le début du post-Hirak – élection du
président de la République –, il est question de réformes dans presque tous les
domaines d’activité. Mais l’Algérien lambda les ressent-t-il dans son quotidien
? Cinq années d’exercice. Pourtant, l’appréciation est pour beaucoup mitigée.
Pour la grande majorité de la population, les effets de ces réformes sont lents
à voir le jour et les dérives culturelles, économiques, idéologiques, sociales,
etc., sont latentes en raison essentiellement d’un manque flagrant de
compétences ou, pour le moins, d’un déficit d’expérience chez les agents de
l’Etat en charge de les mettre en pratique. Sur un plan plus large, le
changement de stratégie et de l’équipe en place avec un chef du gouvernement,
certes aguerri aux affaires diplomatiques mais pas encore pour les affaires
internes, exigent une feuille de route avec des objectifs clairement définis et
une marge de manœuvre qui lui permettrait d’atteindre les cibles de façon
appropriée.
Le président de la République a prononcé un premier
discours sur l’état de la nation. Les deux chambres parlementaires ont apprécié
cette nouvelle forme de reddition des comptes, même si, par ailleurs, il est
évidemment clair que les réalisations présentées ne font pas l’unanimité et que
le pays stagne dans la pensée unique.
Bien entendu, faute d’une véritable liberté de
traitement de l’information, les opposants, et ils sont nombreux, frétillent
sur les réseaux sociaux. Ils s’en donnent à cœur joie pour exprimer ce qu’ils
en pensent. Leurs persiflages, leurs attaques violentes et à la limite de la
correction n’apportent rien de nouveau, tant ils sont sans arguments. Ils sont
assenés par quelques commettants qui se cachent parmi une élite absente (au
pays et) du pays et présente des signes d’aliénation visibles pour ne pas dire
semble avoir perdu son âme. Ils se sont autoproclamés opposants au pouvoir en
place. Leur cible privilégiée est bien entendu l’institution présidentielle et
pour cause, ils considèrent que ce ne sont pas les 39,88% des électeurs qui se
sont exprimés contre 60% qui se sont abstenus, qui la rendent légitime.
Cependant, que l’on soit d’accord ou pas, pour un
pays qui s’est libéré du césarisme des précédents dirigeants, plusieurs
problématiques agissent comme des petits cailloux dans la chaussure de
l’Institution présidentielle. A titre indicatif, l’on peut citer sur le plan
interne celui des détenus d’opinion et des subversifs, celui de la bureaucratie
toujours prégnante ou encore le manque de civisme de la population qui restent
parmi tant d’autres les plus visibles et montrent à l’évidence que le
rattrapage, qu’il soit culturel, économique, politique ou social, s’avère difficile.
Un déficit
en compétences satisfaisantes
Même s’il existe bien d‘autres impératifs, il est
clair que pour chacun, on sait qu’il y a des raisons objectives qui expliquent
pourquoi ils sont mal appréhendés. L’une de ces raisons, et elle ne date pas d’aujourd’hui,
ce sont les compétences et les expériences capitalisées des agents de l’Etat.
L’examen des actes de gestion de ces agents, et particulièrement les
opérationnels, ceux qui sont en contact avec le public, le confirme. Bien
entendu, les responsables sont au premier chef concernés par les résultats
médiocres relevés ici et là, que ce soit dans le secteur financier à la
traîne (banque, fiscalité, douane, etc.), encore sclérosé malgré des directives
pour une numérisation diligente ; une justice toujours sous influence ; le
service public général (wilayas, municipalités, voirie, services postaux, etc.)
fortement désorganisé ; l’inexistence d’un système d’évaluation des
performances sous-tendu par une formation continue et permanente. Les derniers
limogeages décidés par le chef de l’Etat en font la démonstration.
Il existe un secteur névralgique très vulnérable
tant que des réformes profondes n’y sont pas introduites : celui de
l’éducation nationale, totalement en manque de rationalisation et toujours entre
les mains de pseudo-professionnels fermés à l’universalisme. Dans ce secteur –
de l’école à l’université –, si les différents paliers ne sont pas rapidement
séparés du contenu du Livre et de la mosquée, rien ne progressera. Il faut
laisser la mosquée pour la paix de l’âme et il est urgent de redonner â l’école
sa fonction première, celle de préparer les générations futures a la cohésion
et à l’harmonie sociétales par un enseignement résolument fait d’arts, de
littérature, d’histoire, de mathématiques, de philosophie, de physiques, de
sciences, de sociologie et, surtout, d’ouverture d’esprit.
Le manque de compétences et le manque d’expérience
sont un enjeu que les tenants de l’Etat doivent considérer avec attention. Il
est vrai que les agents en poste détiennent des diplômes universitaires, mais
au cours des trois dernières décennies, ils ont rarement acquis l’expérience
nécessaire et suffisante pour faire que les performances des institutions
soient améliorées systématiquement et, surtout, évaluées sur la base de règles
sanctionnant les résultats atteints par les services de l’Etat. Sans ces
compétences ainsi que leur capital expérience, et, notamment, sans les
influences exogènes, leurs performances continueront de faire du surplace au
grand dam de la population.
Mieux encore, en matière d’administration générale,
et à titre indicatif, si l’équilibre n’est pas développé entre la stratégie
générale, les activités opérationnelles et les ressources humaines, sans de nos
jours ignorer la numérisation, l’échec sera toujours au rendez-vous. Afin d’y
remédier, il importe de lier ou d’arrimer la stratégie avec les opérations (1)
de terrain qui doivent être menées d’abord par des autorités qualifiées et
avérées ; développer en continu des relations avec les organismes intéressés,
les employés, les usagers, les partenaires et, bien entendu, les
institutions ; perpétuer et insister sur l’amélioration des compétences et
des capacités professionnelles des opérateurs à tous les niveaux, et ce par des
formations de courte durée et en mode continu.
En matière de développement
organisationnel, j’ai croisé, des «experts» algériens de «haut niveau».
Ils étaient fiers d’être appelés à proposer des démarches pour résoudre des
problèmes dans certains secteurs d’activité. Très compétents là où ils
exercent, ils n’ont pourtant aucune expérience opérationnelle en Algérie. Leurs
interventions resteront un échec qui coûte cher.
Dans toute organisation, le déploiement des
compétences et des expertises s’opère en fonction de ses stratégies et de ses
plans d’action. Cependant, cela ne semble pas être un facteur déterminant dans
celles du gouvernement. Et c’est peut-être pour cela qu’il est légitime, depuis
le Hirak, que le commun des mortels pense que le président de la République a
beau mettre de l’avant ses réformes et les changements qu’il a entrepris depuis
son élection, l’insatisfaction est toujours présente et même les défenseurs,
les vrais, ceux de l’Etat, doutent des résultats des décisions énoncées.
L’incompréhension persiste encore sur les motifs du manque de discernement qui
fait que l’intelligence et la raison du service public ont été évacuées des
différents processus de stabilisation de l’Etat.
Le cas de la justice et celui de l’éducation
nationale en sont un bon exemple. Lorsqu’il faut patienter que les mises à
niveau soient faites, les appréhensions au sujet des cas traités créent le
tourment qui se transforme en égarement. Surtout qu’en la matière, les
décisions judiciaires se prennent encore et encore sur diverses influences que
subissent des magistrats et c’est toute la confiance en la gouvernance qui est
vulnérabilisée. Parmi les cas les plus sensibles, celui des détenus d’opinion,
qu’il faut distinguer des subversifs, embarrasse et gêne bien des citoyens.
Oui, personne n’ignore que la justice est intransigeante, cependant, il y a
toujours eu un minimum de circonstances atténuantes pour alléger les peines et
rendre ces égarés illusionnés, aussi subversifs soient-ils, à leurs familles et
à la vie civile, même avec des restrictions civiques temporaires, mais légales.
Les autres
affaires nationales et la diplomatie
Sur un tout autre chapitre, il y a de cela quelques
mois, dans ces mêmes colonnes (2), j’avais mis l’accent sur les succès de la
diplomatie algérienne. Des succès palpables, puisqu’il est question d’une
continuité pour ne pas dire d’une permanence de l’œuvre des aînés durant la
Révolution du 1er Novembre 1954. Ils ont été consolidés par de nouvelles
percées observées que ce soit en Asie, en Afrique, en Europe ou dans le reste
du monde. L’un des faits marquants est le mandat obtenu pour siéger au sein du
Conseil de sécurité de l’ONU. Membre non permanent, elle saura prendre part aux
échanges, notamment en portant la voix des pays victimes des retombées d’un
ordre mondial à l’agonie et bâti par des puissants sans scrupules.
Toutefois, on relève un ralentissement pour ne pas
dire un engourdissement des activités. Que ce soit sur le plan régional et
méditerranéen, avec le renforcement des relations avec la Turquie et celui de
la coopération avec l’Italie, ce qui n’est pas le cas avec la France. Les
affaires étrangères carburent bien me dira-t-on, cependant, il est évident que
la stratégie a changé au regard des enjeux nouveaux. En matière de gouvernance
des Etats, le changement des leaders et autres animateurs de la politique nationale
découle des nouvelles stratégies que le pays met en œuvre. La diplomatie
procède de la même démarche : elle sert les intérêts du pays. Cela ne peut
pas se faire en raison de situations qui font que ces enjeux sont mal perçus ou
créent des adversités entre les animateurs gouvernementaux.
«Communauté»
ou «communautés» ?
Dans son discours sur l’état de la nation, le
président de la République a mis en avant son soutien aux communautés
algériennes vivant à l’étranger et particulièrement la plus proche, c’est-à-dire
celle qui réside en France en particulier et en Europe en général. Deux axes
ont été mis en exergue : d’abord la perte de sens des gouvernants français
et autres européens, ensuite les contingences politico-économiques avec leurs
effets sur le social, qui devraient inciter les Algériens à regarder vers la
mère patrie. Or, nous savons qu’en France, la communauté est stratifiée.
Plusieurs segments ou catégories de binationaux, de générations, de résidents,
de sans-papiers, sans compter ceux qui se revendiquent comme algériens parce
que natifs d’Algérie.
Les modifications apportées à la loi sur
l’immigration ne sont pas sans effets sur les enjeux générés par les liens avec
l’ancienne puissance coloniale. Nous savons que le laxisme a dilué les appartenances,
non pas et seulement, aux anciennes colonies devenues indépendantes depuis plus
de soixante années, mais a, aussi, englouti bien des ressortissants dans les
espaces communautaristes et idéologiques. Alors, une toute petite question bien
singulière me vient à l’esprit : que ce soit la Fédération des Algériens
en France ou le nouveau venu, le MOUDAF, ont-ils procédé ne serait-ce (qu’au)
recensement des binationaux qui œuvrent dans les nombreux domaines d’activité ?
La question se pose aussi pour les autres associations d’Algérie dans le reste
du monde.
Pourtant, avant de revendiquer quoi que ce soit, le
seul cas de la sensibilisation et de la mobilisation des communautés
algériennes montre que les services diplomatiques, comme les organisations de
la société civile, sont hors-jeu. Les ajustements nécessaires mettent du temps
à se concrétiser, alors que la participation des Algériens à l’étranger est un
atout certain face aux adversaires et, essentiellement, aux ennemis du pays.
Par ailleurs et pour conclure, un récent sondage
(décembre 2023) laissait apparaître des clivages menant à la rupture avec les
ratonnades des années 50 et 60, pour s’orienter vers la chasse aux musulmans,
avec les Algériens en ligne de mire. Nous savons qu’un sondage est une image
instantanée d’une situation qui n’est pas sous contrôle. L’islam, y compris
celui pratiqué en France, comme celui du reste du monde, est hétéroclite et
complexe, ne serait-ce que par le schisme sunnisme-chiisme. Il est aussi
diversifié que les cultures qu’il habite. Il peut réunir, mais ne saurait unir
des Turcs, des Sénégalais, des Maliens, des Nigériens, des Egyptiens, des
Qataris, des Ouigours, des Albanais, des Bosniaques, même des convertis de tout
bord, etc. Et les politiques français ont de quoi toujours diviser pour
s’opposer à une force qui, si elle était unie, nuirait à la cohésion sociétale
et républicaine française. Cependant, ils ne peuvent ni évaluer ni s’opposer à
des communautés qui ne veulent pas être assimilées, mais seulement intégrées comme
citoyennes à part entière.
En France, un ressourcement de la citoyenneté est
peut-être nécessaire, non pas sur la base du seul triptyque – liberté, égalité,
fraternité –, trois concepts complémentaires mais souvent mal perçus ou
quelque peu érodés, parce que, de nos jours, distants de la laïcité. Cela
réduit à néant la conception de la fraternité servie en fonction des idéologies
partisanes. Par conséquent, ce ressourcement recadrerait les prises de position
dans la stricte conception républicaine. Bon ! Bien entendu, c’est, là, une
affaire française qui nous concerne seulement de loin, mais que les liens
historiques remettent au goût du jour seulement lorsque les droites viennent
polluer l’ambiance.
En revanche, les choix nouveaux de
l’Algérie devraient être simples. Ils doivent être tournés vers le bien-
être du citoyen. Citoyen, c’est ce concept qu’il faudra définir de façon
explicite dans la Constitution.
F.-R. C.
Analyste Senior, Groupe d’études et de recherche
Méditerranée Amérique du Nord (German)
1) Gestion
des entreprises : amélioration systématique des performances et activités
opérationnelles stratégiques, Mémoire de fin de cycle INPED, juin
1991. Mise à niveau ESG : UQAM.
2) https://www.algeriepatriotique.com/2022/06/01/la-politique-exterieure-dun-pays-est-le-reflet-de-sa-politique-interieure/#comments
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