22 mai 2010

Un numide en Amérique du Nord – 56 –

Le carcan, l’immigration ou l’exil ?
Le Numide, avant de poursuivre notre conversation, j’aimerais que tu reviennes sur ton expérience de l’immigration tant en Europe qu’au Canada ou si tu préfères, en final, sur les raisons de ta venue au Québec ou encore de ton départ de l’Algérie. Peux-tu en évoquer quelques-unes et nous dire en quoi elles ressembleraient à celles des autres immigrants algériens qui vivent en grand nombre au Canada ?
Je peux dire sans risque de me tromper que chaque expérience est unique et différente de celle des autres par les causes et les effets. Nous en parlions il y a à peine une semaine avec mon frère Lamine. Il me disait que par bien des aspects elle est distincte de celles des autres. Il a évoqué les aspects en lien avec l’histoire et le vécu de notre famille aussi bien paternelle que maternelle. Elle est aussi singulière par les liens très forts qui se sont consolidés et raffermis entre les miens et moi.
Elles pourraient être similaires par d’autres aspects à celles de tous les immigrants mais dans les faits elles sont exceptionnelles par l’existence que je mène et que mènent les miens.
Mais n’est-ce pas le cas pour tous ? Non ! Chaque cas est unique. En ce qui me concerne si je mets en exergue quelques éléments de cette évolution, juste par rapport à l’époque ou aux époques. Je dis bien évolution et non pas seulement changement. Et bien, j’aurais pu quitter l’Algérie dans les années ’’70’’. J’avais le choix entre l’Angleterre au moment où je faisais mes études en littératures et civilisations d’expression anglaise ; la France à la demande de mon cousin Salem qui souhaitait un soutien dans la gestion de sa station d’essence avec la perspective d’investissement et d’implantation en Algérie ; le monopole de l’État n’était pas pour aider ce type de projet ;  l’Espagne à la demande de mon ami Chérif qui m’a proposé la direction générale de deux hôtels dont il était propriétaire.
Je peux t’assurer que ce n’étaient pas les opportunités qui manquaient. Ça aurait pu aussi survenir dans les années ‘’90’’, durant la décennie noire mais à cette époque j’ai beaucoup plus milité pour aider d’autres familles, des hommes, des femmes, des jeunes à non seulement fuir l’intégrisme mais aussi à trouver leur chemin dans cet exil forcé.
Lorsque je me suis décidé à faire le saut, ma prise de décision était différente de celles des autres à cause de l’âge. Se séparer de son pays, de sa famille, de ses proches, de ses amis et de ses collègues n’est pas une décision que tu prends sur les chapeaux de roues lorsque tu as déjà vécu 50 ans avec l’idée que tu es indépendant et libre et que tu découvres, par hasard, que tu ne l’as jamais été et que dans les faits tu ne l’es pas.
Est-ce pour cela que tu soulignes toujours que tu es un exilé et non pas un immigrant ? J’ai aussi observé que depuis que tu le dis, la majorité des algériens, ici au Canada, t’ont emprunté le concept… Exact. Lors d’une rencontre d’une centaine de membres de la communauté réuni pour commémorer le 1er anniversaire du décès du défunt Hachemi Chérif j’avais dis à quelques uns des participants que l’exil tel que l’ont vécu et décrit Mohamed Dib, Slimane Azem ou encore Dahmane El Harrachi n’est pas le même que celui que nous vivons en Amérique du Nord parce que les conditions du départ ne sont pas les mêmes, les conditions d’implantation ne sont pas les mêmes, l’environnement social, culturel et politique n'est pas le même. Et bien d’autres choses.
Lorsque malgré la confiance que j’avais dans les institutions je découvre que je vivais dans l’illusion de la liberté, une méprise sans contours, sans fondements et sans ancrage, la seule alternative qui s’est présentée à moi était de me libérer du carcan.
Dans sa dernière réflexion (1) au sujet de mon arrière grand père paternel, Lamine a parlé de trajectoire et il a noté que si Djeddi Ali avait choisi de s’implanter dans la région des Aurès même si cela était sous tendu par la recherche de la prospérité, celle-ci était-elle exclusivement matérielle ou relevait-elle aussi du symbolique, de la trace, du repère historique et culturel ? Comment Djeddi Ali percevait-il son projet dans le temps ? Quelque part ne serait-ce pas une redondance de l’histoire, une répétition que j’expérimente ainsi que mes filles, ma sœur et ses enfants ?
À suivre…
Ferid Chikhi

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