Moi mes
souliers m’ont conté
Le silence et les senteurs de ma
maison
J’ai souvent fait des analogies – je pense que nous le faisons toutes et
tous, de manière instinctive et en fait, qui peut se départir de son passé ? - entre
ce que j’ai connu et vu comme espaces de vie, bâti et non bâti ; ce que j’ai entendu
comme sons et bruits ; ce que j’ai senti et ressenti comme senteurs et parfums,
habitudes de vie, us et coutumes… et ceux que je découvre au fur et à mesure
que le temps passe et que le poids des années laisse comme trace, non
seulement, sur mon physique mais aussi sur mon mental, mes habitudes et mes
façons de faire, mes solitudes et mes relations avec les autres.
J’ai eu l’occasion de parler des parfums et des senteurs, des bruits et
des sons, que j’ai laissés derrière moi au moment où les portes de l’exil se
sont d’abord entrouvertes et par la suite grande ouvertes lorsque j’ai quitté
l’Algérie. Nostalgie diront certains, mémoire et souvenirs diront d’autres.
Mais les deux se coupent et se recoupent.
Ce qui suit est une expression, une description d’une image, d’une reproduction
de moments d’observations banaux, communs, à la limite, insignifiants mais
pourtant qui se refont chaque jour avec presque la même habileté, la même
habitude. Par exemple, le même geste d’ouverture de la porte d’entrée. Les
clefs qui sortent de la poche, la manière de les ajuster pour que l’une d’entre
elles pénètre la serrure, le petit coup de poignet pour déverrouiller et en
même temps pousser la porte.
J’ouvre la portée d’entrée. J’entre dans le petit espace d’un mètre carré
qui n’est ni un vestibule ni un hall d’entrée mais juste un petit passage entre
l’extérieur et l’intérieur. Une zone tampon dans laquelle je me déchausse et
mets mes pantoufles ou mes savates pour remplacer mes chaussures souillées sur
les chemins empruntés dans la journée. C’est aussi l’espace de transition entre
le public et le privé. Univers où la symbolique passe du monde pollué et
corrompu à un monde plus sacré parce que plus personnel.
Il me permet
de me préparer à me mettre en phase avec l’intérieur plus intime parce
qu’apprivoisé, personnalisé et adapté à mon goût, mon bon vouloir et mes
espoirs, malgré le fait que je n’en sois pas le seul auteur. Il est aussi la
transition entre ce que je partage avec les autres, tous ceux que je ne connais pas mais que je rencontre,
que je croise, et ceux que je connais un peu ou beaucoup… et ce qui m’est exclusif parce qu’apaisant.
C’est un lieu où débute ma tranquillité et où je me sens déjà délivré du monde
extérieur. C’est l’entrée de mon abri, de mon refuge pour me sentir tout en
sécurité et tout en sûreté.
Je me déchausse. Je rentre. La deuxième porte s’ouvre plus facilement que
la première. Le petit rectangle qui m’accueille, est suffisant pour être à deux,
mais sans plus. En fait, si nous sommes
en accord, cet espace devient grand, immense et même spacieux. Il peut nous
contenir à deux malgré nos dissensions, nos divergences mais aussi nos
dimensions convergentes.
Ma maison, qui n’est pas la mienne, je la loue à l’Italien, ses
différentes parties me parlent. Elles me racontent leurs histoires, très
différentes de celles de mes autres maisons, la natale, celle de Babzou et aussi celle de Niederrad ou encore celle du 365 de la
même rue.
Lorsque j’y pénètre, c’est d’abord un silence tranquillisant qui
m’accueille. Puis des bruits calfeutrés, creux et profonds, se manifestent. Ils
m’interpellent. Les uns sont familiers, les autres nouveaux, mystérieux,
énigmatiques. J’en reconnais quelques-uns, même s’ils occurrent de temps en
temps. D’une chambre à l’autre ils sont différents mais aussi étranges et
indéchiffrables parce que singuliers. Les murs parlent. Les portes parlent. Les
plafonds parlent et ce n’est pas souvent que je les entends. Leurs voix sont discrètes, furtives et
énigmatiques.
Le craquement du bois n’est pas le même d’une chambre à l’autre. Les
bruits de fonds de la plomberie semblent parvenir parfois du bas, quelques fois
du haut. Le moteur du frigidaire qui se déclenche me ramène à une autre
réalité, celle de la technologie. Puis en ouvrant la porte extérieure arrière
et les fenêtres je casse la symphonie intérieure, celle qui me rassure. Les
bruits de ma maison depuis quelques années sont différents de ceux que j’ai
entendu dans les autres maisons que j’ai habitées. J’ai toujours eu l’impression qu’ils se
mariaient avec les senteurs de chacun de leurs environnements.
Je n’ai jamais pensé sérieusement à mon devenir. Je crois au destin. Je
crois aux choses qui arrivent par elles-mêmes, sans que l’on s’y attende… Je
sais que ce que j’ai vécu sera toujours différent de ce que je vis et de ce que je
vivrai. Ce qui se passe au présent ne sera jamais comme ce qui est passé et
sera toujours différent de ce qui adviendra. Ma maison du futur je ne sais pas
comment elle sera faite. Est-ce de l’inconscience ? Est-ce de l’insouciance ?
C’est peut-être de l’indifférence ou encore de l’imprudence surtout que je me suis
souvent demandé : qui peut vivre sans penser à un toit pour s’abriter ?
Ferid Chikhi