L’Algérie en ce début de décennie 2020
La politique extérieure d’un pays est le reflet de sa politique intérieure
On
dit souvent que la politique étrangère d’un pays est le reflet de sa politique
intérieure. Toutefois, il semblerait que l’Algérie est en voie de démontrer que
ce n’est pas toujours le cas. En effet, autant le corps diplomatique et son
chef M. Lamamra, sont parmi les plus performants des diplomates algériens
depuis au moins quatre décennies, autant la politique intérieure patine et
n’excelle point du tout.
Une politique intérieure essoufflée !?
Méthodiquement
et efficacement, la diplomatie Algérienne va de l’avant en remportant succès
après succès. La politique intérieure quant à elle, malgré les ouvertures faites
par le président Tebboune est encore à la recherche d’un souffle qu’elle n’a
jamais eu et par conséquent qu’elle n’a jamais entretenu.
Il
est vrai que c’est presqu’unanimement que les Algériens s’accordent pour dire
que depuis au moins deux ans la politique étrangère est au top des
tops. Alors se posent des questions élémentaires : Quelle est
la motivation ou la cause qui fait que ces succès sont conformes et
retentissants ? Est-il question du profil des hommes et des femmes qui la
mènent, tant à la centrale qu’au niveau des chancelleries en dépit d’accrocs au
niveau opérationnel ou est-ce un programme concocté par quelque bureau d’études
stratégiques ou encore est-ce l’héritage retrouvé des diplomates de la
révolution qui ont su avec des moyens dérisoires sensibiliser les pays frères
et amis d’être des soutiens indéfectibles pour l’indépendance de
l’Algérie ?
Deux
paramètres retiennent mon attention : le premier est celui de la référence
à l’héritage de la révolution de novembre 1954. Il convient de dire que le
ressourcement est motivant. Les agents diplomatiques algériens en s’abreuvant
au passé récent et à l’histoire des grands moments depuis la conférence de
Bandoeng (1955) ont capitalisé une expérience indéniable. Le second paramètre
est celui du profil des personnes qui font cette politique diplomatique. Ils
sont qualifiés, expérimentés et bien éduqués. Alors, en comparant
l’international au national me vient à l’esprit une interrogation basique :
Pourquoi, les performances observées au niveau diplomatique ne sont pas une source
d'inspiration pour les agents et autres fonctionnaires du service public en
Algérie ? Trois types de réponses ont été recensées auprès de quelques
personnes avisées. Le contexte ainsi que les profils des principaux concernés
ne sont pas les mêmes des deux côtés ; les défis à l’international, eux aussi
sont singuliers ; une troisième tranche de personnes a répondu que les
interférences exogènes sur le plan diplomatique sont très limitées parce les acteurs
impliqués sont directement concernés par la réussite et notamment parce qu’il y
va de la stabilité du pouvoir en place.
Des problématiques et des hypothèses de travail
En
reprenant dans le détail ces problématiques je me suis souvenu que dans une de
mes précédentes analyses (19 janvier 2022 In AP) portant sur la nouvelle amorce
pour un développement structuré du programme du gouvernement Tebboune, j’avais
notamment mis de l’avant le fait qu’au cours des deux dernières décennies,
l’ex-président de la République n’a pas tenu autant de réunions de son Conseil
des ministres que l’actuel président depuis son investiture. Mais peut-être est-ce
un effet du Hirak ?
Des
dossiers sensibles aux affaires courantes, les membres du gouvernement œuvrent
et agissent avec une efficacité à peine moyenne. Ils arrivent, à tout le moins,
à améliorer un tant soit peu quelques procédures de gouvernance, sans de grands
effets sur les individus. En fait, il n’est pas besoin de procéder aux
évaluations de leurs actions, puisque des détracteurs - perfides - sont tapis,
ici et là, en Europe et ailleurs pour jouer aux guetteurs qui alertent l’opinion
publique sur les insuffisances, les manquements et les dérives de ceux qui pensent
être encore intouchables.
Plusieurs
facteurs aléatoires parmi les plus sensibles ont été recensés et mis en évidence
; ce qui a engendré des hypothèses de travail audacieuses afin d’améliorer le
fonctionnement, non seulement des institutions de l’État, mais aussi de toutes
les autres organisations du système gouvernemental. Cependant, les opérations
en lien avec le public ne suivent pas et les résultats ne sont pas encore
probants.
La bureaucratie et la justice
À chaque
période exigeant des ajustement les gestionnaires sont confrontés à quatre
handicaps significatifs : Le premier est celui de leurs compétences loin
d’être en adéquation avec les exigences des postes qu’ils occupent. Cela bloque
la machine administrative au point de générer le second handicap c’est-à-dire
une bureaucratie prégnante ; le troisième réside dans la justice et l’équité
sociale et le quatrième est celui de la communication institutionnelle.
Il
est admis et, personne ne saurait le nier que des problèmes, apparemment
insolubles, auxquels est confronté l’Algérien dans sa vie de tous les jours
montrent l’influence abusive d’une bureaucratie elle-même devenue anachronique,
sans une éthique et une déontologie appropriées. Le tout relève de
l’impunité dont jouissent les agents des services publics. Les fléaux
générés par cette bureaucratie tentaculaire, non seulement, provoquent des
blocages institutionnels inqualifiables mais aussi une défiance de l’Algérien à
l’endroit de ses dirigeants. La cause principale se situe à non point douter
dans l’incompétence et dans le manque d’évaluation des performances des agents
en charge de répondre aux demandes des usagers du service public. De l’autre
côté, les dérives de la justice et les fractures qu’elle crée au sein de la
population ne sont pas toujours expliquées par le pouvoir en place. Il faut
admettre que lesdites décisions de justice qui sont prises, par exemple, pour ‘‘atteinte
à l'intégrité du territoire national, atteinte à l’unité nationale
ou encore réouverture du dossier de la tragédie nationale, etc.’’, sont
qualifiées de déraisonnables par le commun des mortels et le pire est que le
pouvoir en place ne daigne même pas informer. C’est du mépris (hogra) dit l’Algérien.
Quelques-uns soutiennent qu’il existe un groupe d’agents de justice qui œuvrent
ouvertement pour procéder à des détentions abusives même si les protections
constitutionnelles sont évoquées par les défenseurs.
Ce
qui ne suit pas dans le lien avec l’Algérien c’est que les carences en matière
de communication gouvernementale sont aggravantes. Les médias lourds
ont montré leur obsolescence ce qui exige une attention particulière pour les
sortir de leur désuétude au moment où les technologies de l’information sont à
portée de main. Malgré mon scepticisme quant à une unité d’action, une
sensibilisation et un rassemblement des médias autour des projets
gouvernementaux j’ai envie de laisser au coureur la chance de le démontrer.
Malgré
cela, la réalité veut que tous ces problèmes ne se résolvent pas sans un grand
coup de pied dans la fourmilière. L’Algérie fait face à des défis gigantesques
dans bien des domaines d’activités, y compris ces attaques venant de
l’extérieur qui confirment la fameuse « main de l’étranger ». L’un de ces défis
majeurs reste celui de l’individu dans toutes ses dimensions et dans tout ce
qu’il entreprend et, surtout, dans sa vision de l’avenir.
Les dirigeants et les postes institutionnels qu’ils occupent
Personne
n’ignore que l’avenir de l’Algérien est coincé entre plusieurs projets de
société : Le projet conservateur et intégriste, le projet moderne et progressiste,
etc. Mais le plus important reste celui que conduit le président. (Quelles en
sont les grandes lignes ? Quelles sont les voies et moyens d’atteindre les
objectifs qui rassembleraient tous les Algériens … ? Personne ne sait. Sur le
plan domestique et international, le président Tebboune a hérité d’une
situation parmi les plus désastreuses qu’a connue l’Algérie depuis
l’indépendance, néanmoins dans son plan de redressement, il n’a pas fait le
bilan ou l’évaluation de ce qu’il a trouvé dans tous les domaines d’activités, celui
des ressources humaines restant le plus potentiellement complexe.
Parmi
tant d’autres indicateurs, et comme souligné plus haut, ceux des personnels
élus (quelques élus au passé sombre) et institutionnels, attirent l’attention.
Mais, je me demande si un jour une véritable reddition des comptes sera
instituée partout dans les rouages de l’État ? Je ne connais pas un seul
dirigeant algérien qui depuis l’indépendance du pays a été évalué sur les
résultats qu’il a obtenus en adéquation avec le plan de charge qui lui a été
confié. Le seul paramètre retenu est celui de son obédience à un groupe d’hommes
qui lui a fait occuper le poste ciblé. Il suffit que ce groupe soit dégommé
pour que lui aussi en subisse les conséquences mais souvent sans tambour ni
trompette. Durant la décennie 85/95, Il s’en est fallu de peu pour que des
plans de travail imposés aux dirigeants des fameux Holding deviennent la clé du
succès mais très vite le copinage, le népotisme, le régionalisme … etc. ont
remis tout en question. C’est dire que tant qu’une véritable politique
nationale de gestion des ressources humains n’est pas rationnellement conçue et
mise en place, les performances des dirigeants ne seront jamais évaluées et les
postes institutionnels seront à la merci de quelques ‘’décideurs’’ qui
identifieront qui les occupera.
Récemment encore nous l’avons vu pour ce qui concerne
le PDG d’Air Algérie et le Gouverneur de la Banque Centrale. Ils ont été
quasiment chassés de leurs fauteuils, comme des vanupieds. ‘’Règlement de
compte’’ disent certains, alors qu’ils venaient d’être nommés un peu moins d’un
trimestre pour le PDG de la Cie nationale et à peine deux ans pour l’ex-gouverneur
de la BA. Pourtant, ces institutions, comme d’autres,
sont connues pour relever du management du Président. Si elles avaient été occupées
par des personnes compétentes, cela aurait été grâce à ceux qui les ont mis sur
la liste des candidats potentiels, si en revanche il s’est avéré qu’après
quelques mois ils ne répondent pas aux exigences et autres critères de
sélection pour une saine administration, n’était-ce pas aux maîtres recruteurs
d’êtres blâmés ?
Avant
de conclure cette réflexion, je me demande si la main tendue du Président vers
les organisations politiques donnera des résultats ? Certainement ! Mais,
seront-ils à la hauteur des attentes des Algériens ? J’en doute, parce
qu’on ne peut gouverner avec une politique tournée vers le futur en faisant
appel à des personnes qui font partie du passé même si elles sont jeunes.
L’idée de puiser dans le passé révolutionnaire est une bonne chose, mais
retenons que l’ère de l’ante-révolution de novembre est unique. Cette période exceptionnelle
qui, rappelons-le a exigé l’unification des rangs des militants, de tous les
militants du mouvement national et non pas des organisations politiques. Voilà
pourquoi je ne crois pas que les partis politiques qui ont répondu à l’appel du
Président soient en mesure de participer sereinement à la réalisation de son
programme.
Pour
terminer, les objectifs économiques doivent inciter les autorités algériennes à
gérer de façon intelligente et prospective l'embellie financière générée par la
hausse des prix pétroliers et gaziers, et en faire le vrai levier du
redressement économique du pays. L’état doit à tout prix éviter de céder à la
tentation du traitement social de l’économie comme ce fut le cas durant les
deux décennies précédentes avec toutes les dérives et tous les effets pervers
que l’on a connus.
Ferid Racim Chikhi
Analyste senior chez German