Québec : indépendance, souveraineté du Peuple et de l’État
Introduction
Le débat sur l’indépendance du Québec tient la route depuis
quelques décennies. Dès mon installation au Québec, j’ai pris sur moi de me
joindre aux militants de cette cause. J’y participer en énonçant quelques
observations sur le sujet. Ici, je formule des idées sur le contexte
historique, le présent et l’avenir, sur les démarches et les combats pacifiques
pour l’indépendance qui intéressent tous les Québécois et je conclus par un
avis concernant le fait que les actions trop médiatisées ne sont pas, à mon
sens, un renoncement et encore moins l’amorce d’un renouveau.
Au début, je me suis demandé comment se définissaient les Québécois
« de souche », les Québécois « pure laine », les souverainistes et les
indépendantistes. Je me sentais perdu dans un labyrinthe de concepts, de
pensées et même d’une philosophie dont les contours m’échappaient. J’ai fini
par me dire que je devrais apprendre la langue du Québec pour comprendre de quoi
il était question. J’ai mis du temps pour sortir de ce dédale linguistique qui
est une des caractéristiques de la société québécoise.
Un contexte historique
Je n’ai certes pas vécu au Québec dans les années 1960,
cependant, comme beaucoup d’Algériens de ma génération, j’avais déjà de la
sympathie pour les Québécois alors que quelques-uns des leurs avaient séjourné
en Algérie durant la décennie 1970 : des militants du Front de Libération
du Québec (FLQ). À cette époque, Alger était la Mecque des révolutionnaires,
venus des pays encore sous le joug colonial et en lutte pour les indépendances
en Asie et en Afrique. Je les ai croisés, j’ai assisté à des échanges avec des
responsables du Parti unique algérien (FLN). Ils étaient les invités du
département des mouvements de libération. J’y étais comme permanent au
département des études (analyse, études, prospective ...). En Amérique du Nord,
cela faisait une dizaine d’années que des indépendantistes du Québec s’étaient
réveillés pour se joindre à ces luttes universelles auxquelles prenaient part
des colonisés contre les puissances exploiteuses, oppressives, répressives et
usurpatrices.
De nos jours, des pays sont encore sous le joug d’un « néo-colonialisme
» fait d’une oppression à géométrie variable : la Catalogne, le Kurdistan, le
Sahara occidental, l’Écosse, et bien entendu la Palestine. En ce qui concerne
le Québec, et, de mon point de vue, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et la
réalisation de l’indépendance ne se fera pas si les indépendantistes ne sortent
pas des modèles intelligemment conçus et mis en place au cours de la Révolution
tranquille, il y a de cela 60 ans. Le contexte n’est pas le même et le monde a
changé, avec la mise en place de nouveaux mécanismes de gouvernance et surtout
de nouveaux facteurs de rapprochement, de division ou de distanciation.
Des indépendantistes ont opté pour l’objectif de la convergence
entre les partis et les organisations satellites. D’autres, au contraire se
sont distancés, ou ont adopté une posture de divergence. D’autres encore s’échinent
à maintenir l’ordre établi alors que leurs idées sont inaccessibles aux citoyens
et aux citoyennes. La problématique de cet imbroglio réside dans le fait que
les séniors et les intermédiaires sont dans la pensée du siècle dernier et les
plus jeunes parlent d’avenir mais leur ancrage est noué au passé.
Prenons un indicateur éclairant, que je qualifie de sensible parce
qu’il fait la différence de nos jours comparativement au passé. Il y a 60 ans, au
Québec, les médias étaient surtout écrits et la télévision commençait à peine à
meubler les maisons des populations. Il n’existait qu’une seule chaine de TV
francophone. En revanche, de nos jours, il en existe au minimum une dizaine par
pays, y compris au Québec, avec des antennes (succursales) en région. Les chaînes
anglophones qui existaient par le passé se sont, non seulement, diversifiées,
mais certaines sont dominantes. Les médias sociaux et la numérisation de
presque tous les médias écrits accroissent la diffusion instantanée et en
continue de l’information et des spectacles. Le tout magistralement influencé
par l’argent. À cela, vient s’ajouter l’accès aux TV étrangères via les
satellites. Je me suis intéressé à l’importance que donnent bien des immigrants
récents et les minorités plus anciennes aux chaînes québécoises. Elle est
quasiment nulle. Il s’avère que presque tous les immigrants sont connectés à
leurs pays d’origine et seuls quelques individus regardent quelques émissions québécoises,
pour diverses raisons. En d’autres termes l’opposition n’est pas seulement le
fait de Québécois anglophones et libéraux, elle provient aussi de milieux
culturels diversifiés, puisque le Québec n’a pas su et ne sait pas encore sensibiliser
efficacement les nouveaux arrivants et les minorités plus anciennes à son
projet d’indépendance. Si l’on ajoute les réseaux sociaux on remarque que les
jeunes sont ailleurs et l’indépendance du Québec ne fait pas partie de leurs
intérêts majeurs. Mieux encore, durant les quatre décennies précédentes (de
1960 à 1990), bien des opposants immigraient au Canada en provenance des USA et
d’Europe, s’installaient au Québec. C’était entre-autres des Italiens
d’origine, des Portugais, des Grecs, des Juifs, etc. leurs quatrièmes
générations se disent québécoises mais ne considèrent dans une province, un appendice
du Canada.
Le présent et l’avenir pour les Québécois de toutes origines
De nos jours les enjeux auxquels est confronté le Québec sont complexes et multiples. Ils sont interreliés et exigent non seulement une priorisation en fonction des besoins de la population mais aussi une planification à laquelle tous doivent adhérer. Ils exigent une organisation multifactorielle afin qu’aucun aspect n’échappe aux gouvernants. La démographie, l’éducation, l’immigration, la santé sont des défis majeurs persistants et significatifs. Le développement des régions et la gestion du territoire exigent une architecture moderne pour l’agriculture, l’industrie connexe. La nouvelle économie sur des bases modernes doit porter une attention soutenue pour sédentariser les populations dans les nouveaux centres urbains. Les technologies nouvelles doivent être pensées et apprises hors des vases clos occupés par l’Intelligence Artificielle et avec les apprentissages requis pour que la population en soit partie prenante. Quant à la culture, pas seulement l’éducation nationale) elle doit viser la consolidation des acquis de la langue française. Cette armature consoliderait l’autonomie de l’État Québécois. Dans le même sillage les relations internationales et le réchauffement de la planète restent deux entreprises à mettre de l’avant. Une des questions essentielles réside dans la priorité à accorder à l’un ou à l’autre de ces objectifs, sans diminuer l’intérêt pour tous les autres.
L’indépendance du pays concerne les Québécois de toutes origines
Depuis le début de l’expansion impérialiste et colonialiste des
puissances Européennes et notamment l’Empire Romain, aucun pays occupé ne s’est
libéré du joug de l’occupant sans livrer bataille. À l’inverse, le Québec et sa
Révolution tranquille ne ressorti pas du lot des révolutions armées. La révolution
tranquille a germé chez des hommes et des femmes pour défendre des idées manifestes
qui la distinguent de l’autre ; de démocratie et de paix. C’était, un engagement
mené par des figures pour qui l’indépendance était le moyen de voir différemment
le futur du peuple Québécois. Ils étaient de langue et de culture francophones.
Cependant, 60 ans plus tard, ce qui les
distinguait des anglophones québécois s’est estompé. Même le bilinguisme officiel
revendiqué au fédéral bat de l’aile.
En 2022/2023, une passe d’arme est déclenchée pour défendre la
langue et la culture française en Amérique du Nord. Il est observé une baisse
de l’utilisation du français dans tous les domaines d’activités. Des
enseignants, des groupes organisés, des politiques, des sociologues… prennent le
chemin de la défense de la langue. Ils observent et constatent avec tristesse que
le mal est plus profond que cela n’apparait. Toutefois, des propos peu
reluisants ciblent les immigrants et surtout les nouveaux qui arrivent au pays
sans la maîtrise du français. Leur intégration se fera avec le soutien du
gouvernement canadien qui privilégie l’anglais au français. Or, nous savons
qu’aux défis cités plus haut la langue est le moyen de communication privilégié
mais aussi le fondement de la préservation du patrimoine historique français en
Amérique du Nord.
Une hirondelle ne fait pas le printemps !
Au cours de ce premier trimestre de l’année 2023, trois élus
désignés comme étant « les trois mousquetaires » du Parti
Québécois ont bravé les règles institutionnelles monarchiques établies depuis des
siècles, et leurs collègues à l’Assemblée nationale ont finalement fait œuvre
utile en refusant de prêter le serment d’allégeance au nouveau Roi d’Angleterre.
Cependant, cet épisode qui a hissé le parti québécois au-dessus du lot pourra-t-il
perdurer et assisterons-nous a d’autres exploits qui amèneraient tous les
Québécois à renouer avec l’idée d’indépendance de leur pays ? La prudence,
m’amène à revisiter deux proverbes souvent utilisés dans mon pays d’origine. Le
premier dit : une hirondelle ne fait pas le printemps. Le
second dit : on n’applaudit pas d’une seule main. Aux membres
du parti Québécois de faire la démonstration que cela est possible. Si
j’entends le claquement d’une seule main et qu’une hirondelle apparait dans le
ciel bleu du Québec, j’applaudirai
de mes deux mains.
Pour l’heure, je me dis que le modèle de la Révolution
tranquille devrait être revisité à la lumière des changements majeurs
intervenus au cours des dernières décennies. Nous savons que les révolutions
s‘ajustent en fonction des aspirations des populations. Beaucoup d’éléments doivent
être mis à n niveau ou remplacés pour rassembler toutes les couches sociales et
tous les Québécois quelques soient leurs origines. Le Parti Québécois, les
autres organisations indépendantistes sont-ils capables de provoquer ces
mutations ?
Ferid Racim Chikhi