Islamisme & Terrorisme : du sympathisant au djihadiste
‘’Vulnérabilité
sociale ou problématique de santé mentale’’
‘’ Pour bien comprendre le présent et
anticiper le futur
Il faut
parfois rechercher des ancrages dans le passé, même le plus récent’’
El Houcine Messaoud
Ancien militant PPA MTLD
Cette
année, la commémoration des attentats du 09/11/01 coïncide avec l’annonce du gouvernement
qui invite les Canadiens à un exercice démocratique assez particulier qui consiste
en une participation via Internet à une vaste consultation sur toutes les questions
relatives à la sécurité nationale en vue d’un projet de loi destiné à remplacer
la Loi antiterroriste qu'avait adoptée le gouvernement de Stephen Harper, le 6
mai 2015.
Ce
billet, troisième de la série[i], publiée depuis le 25
juillet 2016, reprend des éléments de réflexions et d’observations concernant
le conditionnement, l’enrôlement et la radicalisation des jeunes dans les rangs
des Islamistes. Réalité ou fiction ?
Depuis
les années ‘’90’’ les procédés et les démarches de prévention de la radicalisation
des jeunes et moins jeunes sont portées à la connaissance des citoyens, par des
rapports d’enquêtes, des analyses et divers écrits. Ils sont conçus dans le bon
ordre de la rectitude politique en fonction des besoins de l’heure qu’ils
soient géostratégiques, étatiques ou informationnels.
Mais,
me dira-t-on qu’est ce qui attire ces individus dans le djihad armé ? Question
à l’évidence essentielle. C’est, souligneront certains, leur vulnérabilité
sociale et parfois leur problématique de santé mentale. Cependant, les plus
critiques diront, dans les deux cas c’est foncièrement leur prise en charge en
amont qui a failli.
Les enseignements de l’histoire Algérienne.
Il
y a quelques années de cela, ‘’El Houcine
Messaoud’’, un proche et ancien résistant du mouvement national Algérien
m’avait dit ‘’Pour bien comprendre le
présent et anticiper le futur Il faut parfois rechercher des ancrages dans le
passé, même dans le plus récent’’. La mémoire n’étant pas infaillible,
rappelons qu’en Algérie, des articles de presse et bien des chroniques sur les
actes terroristes étaient rédigés dans l’urgence sur des coins de tables. Ce n’est
que bien plus tard que des ouvrages, des mémoires et des recueils de chroniques
mettaient en exergue les causes et les effets des violences islamistes ainsi
que les dérives politiques qui ont durement affectées et ébranlées les
fondements de la nouvelle et jeune société Algérienne.
En
Europe et en Amérique du Nord, la donne est différente. L’information et
l’analyse par les médias majeurs est dense mais semble passer à côté de
l’essentiel. La médiatisation des faits divers, qui tournent en boucle sur le
petit écran, occulte l’apparition de nouvelles méthodes d’endoctrinement et
d’enrôlement, sans compter que cette façon de traiter l’information porte un
grave préjudice à la cohésion citoyenne et à l’économie des pays où les
attentats sont perpétrés.
En
Algérie, deux paramètres sont apparus dès le début de la guerre contre les
civils. Ils avaient permis, aux islamistes, y compris ceux infiltrés dans des rouages
de l’état, d’occuper le terrain pour une prise de pouvoir quel qu’en fusse le
prix. Le premier était organisationnel et consistait en la mise en œuvre d’un
maillage des mosquées autour d’œuvres de bienfaisance et en l’occupation des
municipalités grâce à des fraudes majeures. Le second était fonctionnel et consistait en l’ouverture,
des mosquées sous contrôle islamiste, à tous les individus de statut social précaire.
Ils avaient maille à faire avec l’état pour diverses raisons (effets de l’exode
rural tels que le manque de logements, précarité sociale, chômage, exclusion
scolaire, délinquance, etc.). Ce bassin d’‘’Islamistes
en devenir’’ allait constituer un des fondements de leur expansion.
L’objectif
était double, d’un côté, la création d’une véritable armée de désœuvrés
convertis en militants aguerris par des formations paramilitaires et de
l’autre, aussi paradoxale que cela puisse paraître, le racolage et la canalisation
de diplômés des universités exclus des emplois clés des organisations et des
institutions industrielles, commerciales et économiques, à caractère public.
De nos jours qui sont les candidats au
‘’djihadisme’’ ?
L’État
des lieux nous indique qu’à quelques éléments près, la stratégie de
l’implantation de l’Islamisme est la même partout. Bien entendu avec des
adaptations en fonction des population cibles. Au Canada et au Québec, même si
elles sont similaires par le fonds, les pratiques sont les mêmes avec un
paramètre commun, le conditionnement communautariste et social qui touche les
familles, les femmes, les jeunes – garçons et filles – (décrocheurs et désœuvrés,
écoliers finissant leur primaire ou leur secondaire (le cours d’ECR participe
de ce fait). Les jeunes se recrutent parmi ceux dont la frustration est visible.
Ils vivent un stress non diagnostiqué. Quelques-uns sont dépressifs et connaissent
des troubles anxieux, des peurs et diverses phobies, comme si les dangers et
les risques pourtant laissés, par leurs parents, à des milliers de kilomètres
du Québec étaient encore là et à venir.
Par
contre, il est difficile de trouver des arguments plausibles quant à l’endoctrinement
de finissants des universités. Une de leurs caractéristiques réside dans le
fait qu’ils fuient les débats d’idées des groupes ouverts mais sont ‘’invités –
récupérés’’ pour rejoindre des groupes informels d’étudiants originaires des
pays du Proche Orient et d’Afrique du Nord, etc. En général, ils ne participent
pas aux activités des associations traditionnelles. Leur endoctrinement est
comme instantané pour devenir des dépisteurs, des éveilleurs et des mentors des
futurs radicalisés, mais le conditionnement est latent et présenté comme ayant servi
au lavage de cerveau.
Leur
discours, fortement imprégné de Wahhabosalafisme est victimaire. Il dénonce les
agressions de l’Occident contre les pays musulmans. Une de leurs activités
phare est l’animation d’ateliers de communications interpersonnelles. Ils
outillent quelques ‘’dépistés‘’ en techniques de débats pour les émissions de radios,
de télévisions et de conférences portant sur le racisme, la discrimination,
l’islamophobie et la stigmatisation, non pas et seulement des islamistes mais
aussi, des minorités visibles, etc.
Le conditionnement, les espaces et les
acteurs de l’enrôlement
L’implantation
de l’Islamisme se fonde sur quatre axes porteurs : les liens avec leurs
alliés naturels ou conjoncturels ; le conditionnement communautariste et social ;
les espaces communautaires et les acteurs de l’enrôlement. À la différence de
la France, l’Islam et l’Islamisme en Amérique du Nord sont ‘’jeunes’’. Au
Canada et au Québec, la radicalisation semble être traitée comme un effet et
non pas comme une cause. Le conditionnement communautariste et social est une
étape à peine abordée par les différents observateurs. Un examen rigoureux de
ce qui est qualifié de ‘’radicalisation’’, (en Europe et en France… au Canada
et au Québec) nous montre que la matrice de l’islamisation des individus et des
communautés ne se fait ni sur le même modèle d’organisation ni sur les mêmes
profils des intermédiaires et des émissaires.
La
radicalisation diffère aussi par la population d’immigrants considérés comme
cibles privilégiées par ‘‘les dépisteurs, les orienteurs et les éveilleurs’’.
Elle est aussi spécifique par la violence sociale qu’elle engendre en raison
des causes beaucoup plus que de leurs effets. Dans ce contexte le sentiment
d’appartenance fait partie des éléments déstabilisants. Ces jeunes égarés par
les sociétés d’accueil vivent une perte de sens qui les pousse à nier leur appartenance
à une identité en construction. Ils empruntent ainsi les chemins de
l’incertitude hors d’une société qui ne les reconnait pas, qu’ils ne
reconnaissent pas et dans laquelle ils ne se retrouvent pas.
Selon
certains, les mosquées ainsi que des réseaux sociaux auraient perdu leur titre
de bassins privilégiés pour le recrutement des sympathisants. Cependant, même
si la WebSphere se modifie elle s’adapte très vite aux objectifs des
djihadistes. Tous les autres espaces de regroupement et de rassemblement de
personnes sont des cibles ordinaires : universités (groupes d’études, lieux et
filières d’études), librairies et bibliothèques, stades et salles de sports,
cafés, bars/restaurants. Sans omettre les lieux de rétention judiciaire.
Les instruments du conditionnement
communautariste et social
À
ce qui précède viennent s’ajouter trois instruments de l’endoctrinement : Le monde de la vidéo subversive qui fait le
lien entre les auteurs et les ‘’sympathisants’’. Les chaînes de télévisions satellitaires
financées par le Pétrowahhabisme émettant à partir de la Grande Bretagne et des
pays du golfe, usent des technologies les plus sophistiquées pour passer leurs
messages grâce à des animateurs polyglottes par la pratique. Pas moins de 70%
des immigrants en provenance des pays du Moyen Orient et du Maghreb
privilégient ces télévisions à ceux de leurs pays d’origine et d’accueil. L’autre
outil de communication singulier et incontrôlable, totalement méconnu par les
‘’experts’’ mais qui a fait ses preuves en d’autres périodes et lieux, c’est
l’oralité, le téléphone arabe, diront certains, la rumeur, diront d‘autres.
Comment
y remédier ? Au-delà des politiques sécuritaires et de ‘’déradicalisation’’, une
piste à suivre serait de développer l’appartenance à la société qui les a vu
naître ou qui les a accueillis beaucoup plus que communautaire, en mettant en
pratique une éducation civique et citoyenne au sein des institutions, des
organisations éducatives, des centres communautaires, des groupes sociaux, etc.
Elle
devra dérouler des actions d’éclaircissement proactives de communication, de
sensibilisation et d’intégration non seulement des jeunes mais aussi des moins
jeunes, des femmes et des familles. Il ne s’agit pas seulement de lutter contre
le racisme ou la discrimination, il s’agit de tendre la main en allant vers ces
immigrants pour les faire participer à la réalisation d’un projet commun d’une
société en pleine transformation. Quant aux radicalisés, l’adaptation de
certaines démarches de ‘’désintoxication’’ en amont serait appropriée.
Ferid Chikhi
1. Terrorisme : pourquoi les musulmans ne parlent
pas ? 2. Islam, islamisme et terrorisme : comment réformer, rompre et éradiquer
?) publiés sur le Huffingtonpost Québec depuis le 25 juillet 2016 et le 22 août
2016.
http://quebec.huffingtonpost.ca/ferid-chikhi/islamisme-et-terrorisme_b_11969168.html
http://quebec.huffingtonpost.ca/ferid-chikhi/islamisme-et-terrorisme_b_11969168.html