Partant des nouvelles pratiques étranges et
étrangères apparues en Algérie depuis le début des années ‘’80’’ et qui se sont
consolidées au fur et à mesure que le temps passait, la problématique de la
tradition musulmane des Algériens a complètement été altérée. Elle qui occupait
les esprits saints des Algériens depuis des siècles n’a pas résisté à
l’infiltration et l’expansionnisme islamiste. Les institutions publiques et
privées, les espaces publics, les familles, les lieux du savoir et ceux du
culte n’ont pas été épargnés. Un survol succinct de ces changements majeurs en
revisitant l’histoire tout en abordant l’actualité me semble approprié en cette
période de perte de sens.
Oui, ‘’la perte de sens’’, disaient avec ironie une de mes grandes tantes maternelles et la
Grand-mère de mon épouse, la perte de sen oblige le musulman contemporain à faire du surplace et/ou à se perdre dans un passé qu’il n’a pas connu et qu’il ne connaitra jamais. Pour faire terre à terre, je me souviens des récits que ne manquaient pas de rappeler les plus âgés d’entre-nous au sujet du passage du siècle en cours - correspondant, selon le calendrier Grégorien, à la fin de l’année 2018 - vers le suivant - ou mieux encore la transition vers le 21ième. - Pour les musulmans, selon le calendrier Hégirien, il s’agit du passage du 14ième vers le 15ième siècle.De nouveaux paradigmes sociétaux
À cette époque (Fin des années ‘’50
‘’ et début des ‘’60’’) j’étais passionné par cette perte de sens même si
je n’en comprenais pas la portée, surtout que pour moi le sens c’était la
direction et la direction c’étaient les points cardinaux qui, pour moi, étaient
immobiles. Nous cherchions une direction, la boussole faisait le travail en
pointant son aiguille vers le ‘’Nord’’. En fait, j’avais du mal à en
saisir la signification. Pourtant, aujourd’hui, je peux m’avancer à dire que,
parmi tant d’autres, je suis un témoin de cette perte de sens. En raison de
nouveaux paradigmes sociétaux et des dérives religieuses diffusées par les pays
du Golfe et leur guéguerre entre Sunnites et Chiites ainsi que par leurs alliés
intéressés plus par le gain détourné que par le devenir des musulmans. Tous ces
antagonistes ont perdu le sens de la mesure. Ils ont aussi perdu le chemin de
la ligne médiane. Ils préfèrent s’attacher aux extrémismes ceints par les
dogmes imposés par des prédicateurs bornés, chauvins, ethnocentristes,
rétrogrades, xénophobes et, le pire de tout, misogynes. Les apprentissages des
sciences et du savoir en général ne font pas partie de leurs environnement.
Adolescent, j’ai souvent entendu deux
phrases fréquemment répétées pour qualifier un fait social inhabituel. Elles
étaient toujours énoncées par des personnes qui ne respectaient pas le cadre de
références habituellement mis de l’avant d’une façon consensuelle. J’entendais
: ‘’… Fnette Eddania (C’est la fin du monde) … Ah !
Hajuj Oua Majuj (ces pourris de la fin des temps…’’ et ‘’ … Hadha
Karn Arba’tache (c’est ça le 14ième siècle) …
‘’. C’était pour moi un langage ésotérique mais qui a toujours existé et
qui faisait partie de la mémoire transmise par l’oralité ambiante.
De nouvelles pratiques étranges et étrangères
Pour illustrer ce qui précède, quelques
éléments tangibles sont à retenir. A cette époque - il y a de cela plus d’un
demi-siècle – et jusqu’à la fin des années ‘’70’’ les pèlerins de retour de la
Mecque offraient des petites fioles contenant de l’eau de Zemzem, de l’encens,
des chapelets, des tapis de prière ; rares étaient celles et ceux qui
offraient le Coran. Bien entendu, cela dépendait des moyens de chacune et de
chacun. Mais, souvent pour compenser le manque de ces produits, c’était la
Baraka du Hadji et de sa compagne qui était offerte à tous ceux qui les
visitaient. Le meilleur consistait en des narrations de ce qu’ils/elles ont
vécu durant leur séjour aux lieux saint de l’Islam.
Au début de la décennie suivante, ce
que nous commencions à observer, c’étaient essentiellement quelques vêtements
saoudiens portés par les hadjis ou encore par des jeunes devenus mercenaires
après avoir rejoint l’Afghanistan et revenus de Djeddah. L’observance des
accoutrements des premiers était, jusqu’à une certaine limite convenable,
puisque très tôt l’habit traditionnel reprenait le dessus. En revanche, pour
les seconds, venus tout droit de Peshawar - (situé à la frontière du Pakistan
et de l’Afghanistan) - leur accoutrement était devenu leur costume
représentatif d’un lieu étranger à l’Algérie et qui étaient dans plusieurs
mosquées. En fait, ils étaient en mission de la Daawa. Ce costume leur
octroyait un certain statut qui ne plaisait pas à tout le monde et tous
pensaient que c’était une mode qui disparaitrait rapidement. En fait, le pire,
non pas seulement dans l’habillement qui sortait de l’ordinaire mais aussi dans
la pratique, c’étaient les nouvelles habitudes de vie que ces ‘’mercenaires
et leurs femmes’’, imposent à tous et surtout à toutes les femmes par des
prêches salafistes. Cela se passait, particulièrement lors des cérémonies et
autres rituels traditionnels : prières, funérailles, circoncisions et
autres mariages. La femme devenait invisible dans le groupe ‘’guidé’’ par
l’homme.
Pour expliquer une de ces pratiques, je
me souviens de l’anecdote suivante : Une dame âgée, les 80 ans passés, se
dirigeait vers la salle de bain pour faire ses ablutions. Une jeune femme, la
trentaine bien assumée et fraîchement revenue de son petit pèlerinage de la
Mecque (Omra[2]), bien entendu portant hijab, la suit,
et au moment où la dame âgée allait placer son pied droit dans une cuvette pour
faire ses ablutions, la jeune femme joignant le ‘’cri’’ à la
parole, lui indique qu’elle doit d’abord commencer par laver son pied gauche
pour chasser le diable, (Ah ! Ce diable qui depuis toujours peuplait les
échanges entre les individus en apparaissant sans crier gare et presque tout le
temps du côté gauche de la personne). La vieille dame, connue comme une
pince-sans-rire, lui répondit du tac-au-tac : ‘’Ah ! tu m’as
fait peur, j’ai cru que c’était toi le diable’’. La jeune fille a tenté
de s'excuser de l’avoir ‘’troublée’’ mais l'octogénaire, lui
ordonna sèchement de la laisser tranquille. Quelques personnes qui avaient
accouru pour connaitre les raison du ‘’cri’’, s’en prirent à la
jeune femme et l’invitèrent à stopper ses conseils.
La vieille dame, retourna à sa chambre,
fit sa prière et revint au salon, où toutes les invitées étaient à l’écoute
attentives du prêche déclamé par la jeune femme. La Grand-mère s'adressa à
l’auditoire quasi silencieux et lui dit avec une espièglerie à peine
voilée : ‘’Quoi, vous ne voulez plus écouter mes hikayates (contes)
et vous pensez apprendre d’elle des khorayfetes (fables). C’est
ce qu’on appelle Karn Arb’atache (le 14ième siècle)
! Akhir Eddounia (la fin du monde) ! La jeune hijabisée,
visiblement très fâchée, se leva et quitta la maison.
Ya'juj et Ma'jûj[3] et Dhû L Qarnayn[4]
Des événements semblables étaient devenus monnaie courante. Ils marquaient l’apparition de pratiques étranges et étrangères à l’Islam d’Algérie, aux traditions, aux Us & Coutumes du pays. Ce qui était aussi valable pour presque tous les pays arabo-musulmans. Le Wahhabosalafisme infiltrait les sociétés et les vidait de leurs traditions, de leurs cultures, de leurs pratiques cultuelles. C’est là que la ‘’fin de tous les temps’’ prend du sens. Selon quelques-uns de mes aînés, Karn Arb’atache marque non seulement la fin d’un siècle mais il configure l’avènement d’un autre. Le mieux dans cette situation est que cette transition façonne aussi des changements majeurs structurants non seulement dans les pays arabo-musulmans mais aussi dans le reste du monde, là où les musulmans forment une minorité victimisante.
Pour conforter ou au contraire déconstruire cette idée, une analogie serait, me semble-t-il appropriée ; en effet, selon le Coran, Dhou El Qarnayn, qui aurait été Alexandre le Grand aurait vécu durant la seconde partie de son siècle et le suivant d’où la référence aux deux siècles (Karnayne) correspondant à 326 av/JC - ce qui semble improbable vu l’âge de son décès à 36 ans. La période en question, selon le calendrier Hégirien, chevauchait deux siècles. Le problème c’est qu’à son époque l’Islam n’existait pas. En revanche, je préfère ce que m’ont légué mes aînés qui considéraient que Dhou El Qarnayne était bien Alexandre le Grand, l’empereur qui partit de l’Occident pour conquérir l’Orient, a su régner sur les deux
De la tradition musulmane à la pratique islamiste
Finalement, on peut
s’écrier : Ah ! Les Arabo-Musulmans, mais bien entendu pas tous les
musulmans, sont encore et toujours en ‘’UNE’’ de l’actualité en ce début
de 21ième siècle. Ils prennent de la place dans les unes des
quotidiens, les écrans télés, les radios … et bien entendu les réseaux sociaux.
L’Islam, ses musulmans et surtout ses islamistes prennent une place dominante
dans l’information, l’analyse, les commentaires et les débats des médiums.
Heureusement et en dépit de diverses tentatives d’homogénéisation, y compris
par la coopération - œuvre des États islamiques (OCI) selon la charte de
l’Isesco (Doha) - les Arabo-musulmans forment toujours des communautés diversifiées,
hétérogènes et plurielles. Chacune d’elle se présente avec de multiples
facettes identitaires, culturelles, sociales et économiques. Des blocs
segmentés, constitués en silos, placés les uns à côté des autres, indépendants
mais bien reliés par les cinq piliers de l’Islam. Ils donnent l’impression
d’être consensuels avec l’imposition de l’Arabe comme langue commune et l’Islam
Sunnite comme la religion de tous, pourtant, les divergences sont avérées,
incontestables et elles se justifient, ne serait-ce que par l’Histoire des
peuples. Leur Histoire avant l’avènement de l’Islam. Le mieux est que les
traditions musulmanes par leur intelligence, leur tolérance et leur
indépendance offrent à leurs citoyens la capacité et la possibilité de ne pas
pratiquer mais seulement d’en faire partie.
Bien des paramètres (les piliers
et les préceptes de base de l’Islam) rattachent les musulmans les uns aux
autres mais bien d’autres (les cultures, les langues premières, les Us &
Traditions locales) les distinguent aussi, les uns des autres et lorsque les
islamistes façonnés dans les laboratoires occidentaux dans le but de barrer la
route au communisme, ils ont été renvoyés dans leurs pays d’origine pour
participer dans le jeu de la mondialisation à leur affaiblissement en menant
une guerre absurde et mortifère contre leurs civils. Dès lors, la perte de sens
s’est généralisée. Aujourd’hui, une normalisation de relations entre les
pseudo-puissances des pétrodollars et ce qui était encore hier et en surface
leur ennemi juré, Israël, son concepteur le Sionisme avec la bénédiction du
Royaume Uni, la majorité des pays arabes se gargarise de la nouvelle
géopolitique qui favorise une nouvelle configuration du MENA, remplaçant les
accords Sykes-Picot de 1916, signés entre, encore une fois le Royaume-Uni et la
France et qui avait été un prélude au dépeçage de l'Empire ottoman. Cet accord
étant arrivé à son échéance, ce sont les USA qui en sont les maîtres d'œuvre.
Il faut reconnaître que le président sortant a réussi son deal en ciblant les
intérêts des uns et des autres.
Les faux frères et
les amis silencieux
Dans les pays arabes,
les régimes en place alliés au mouvement islamiste sont les instruments de la
déliquescence des gouvernants en place et ils sont à l’origine de cette perte
de sens généralisée et jamais égalée. Nous sommes déjà, au début
de la cinquième décennie du siècle hégirien (1441) et à la fin de la seconde du
nouveau millénaire Grégorien (2020) pourtant aucune des deux hypothèses ne
s’est confirmée. Cependant, bien des choses ont changé, un pan entier du MENA
vit les effets d’une guerre généralisée et peine à se redresser ; des pays
musulmans du golfe arabe, à quelques exceptions près, serrent la main de l’État
d’Israel et trahissent l’idéal, si idéal il y avait, d’une unicité fictive
; le Maroc reçoit le soutien des pétromonarchies arabes mais pas celui des pays
musulmans de l’Asie orientale et obtient en contrepartie la mise en œuvre du
fait accompli pour poursuivre la colonisation du Sahara Occidental ; le
Sahel brûle à petit feu sous la supervision de la France et de ses alliés alors
que selon l’éditorial d’El Djeich (08/12/20) les militaires Algériens appellent
le peuple à la vigilance et aux risques extérieurs auxquels, de toutes façons,
beaucoup parmi eux ont peut-être contribué en étant convaincu qu’ils sont
intouchables ; le Hirak a été stoppé net par le Covid19 mais ses effets
sont à examiner et à méditer dans le court terme tout en ayant à l’esprit une
anticipation sur le statut tant territorial que citoyen du pays. Où qu’il
soit l’Algérien doit se saisir des synergies que le Hirak a généré afin que la
démocratie et la gouvernance du pays soit citoyenne et notamment citoyenne. Le
temps, les stratégies, les politiques de bien des pays semblent avoir attribué
des faveurs à ceux qui ont fait appel à leurs intelligentsias et poussé dans le
coin de l’échiquier mondial ceux qui ont ignoré les leurs. Le monde change et
même si aux frontières les incertitudes son bien présentes elles sont aussi mères
de toutes les tempérances.
Ferid Racim Chikhi
[1] Le
14ième siècle Hégirien correspondant au 21ième siècle Grégorien
[2] La Omra
est un petit pèlerinage à la Mecque qui se faire tous les mois de l'année. Il
est néanmoins recommandé de le faire pendant le mois de ramadan.
[3]
Gog et Magog (Ya'juj et Ma'juj) : Cités deux fois dans le Coran à propos
du récit de Dhu-l-Qarnayn (S18 V94) et étant un signe annonciateur de la
proximité de la Fin des temps (S21 V96) et Sourate 21 Al-Anabiya (Les
Prophètes).
[4] Dhou El
Qarnayn = celui qui a vécu durant les deux siècles (la fin du précédent et le
début du nouveau). Beaucoup le considèrent comme étant Alexandre le Grand.
"Celui des deux cornes". Dans le Coran, la Sourate Al-Kahf, les Ayahs
83-101 le cite comme étant celui qui voyage vers l'est et l'ouest. El
Qarn = le siècle.
[5] Le faux messie, menteur, le
trompeur serait une figure maléfique de l’eschatologie islamique. Il est dit
qu’il apparaîtrait de l’Est … Orient. Il est comparable à la compréhension
chrétienne de l’apparition de l’Antéchrist dans l’eschatologie chrétienne.