2 févr. 2021

Un Numide en Amérique du Nord - 344 -

 Algérie : La gouvernance de l’État et ses dossiers majeurs

“Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui voulaient le contraire, et l’immense majorité de ceux qui ne voulaient rien faire.”

Sun Tzu

Les segments de réflexions qui suivent sont extraits d’une analyse de quelques menaces et défis [1] qui confrontent l’Algérie en ce début de l'année 2021. Que l’on soit pour ou contre le Président Tebboune et son élection, il est essentiel de considérer avec minutie les incertitudes et les risques générés par deux décennies de non-gouvernance, de corruption et de gabegie ainsi que le potentiel de résolution de leurs conséquences. Se pose alors une question simple mais dont la réponse est complexe : Comment procéder ou encore quelles sont les marges de manœuvres des gouvernants face à cet océan d’inconséquences ?

Des solutions et des principes de résolution

Plusieurs experts proposent ou suggèrent des réponses mais aucune ne semble convenir soit parce qu’elles sont incongrues soit parce qu’elles sont trop théoriques. Je ne sais plus qui est l’auteur de la citation suivante mais elle se vérifie tous les jours en Algérie : “un expert est quelqu’un qui a commis toutes les erreurs possibles, dans un domaine restreint.” Nous savons tous que les deux dernières décennies ont été catastrophiques et seules quelques institutions sont à l’œuvre des correctifs en cours comme le montre le ministère de la défense nationale par ses alertes sur les contingences géostratégiques auxquelles fait face le pays. Mis à part l’épisode des officiers arrêtés pour de multiples raisons, il lui reste de la crédibilité auprès du citoyen. Le gouvernement de son côté élabore des stratégies de sortie de crise malgré le déficit d’expérience de ses membres et des bévues qu’ils commettent à chaque prise de parole. Pendant ce temps le précepte selon lequel ‘’des institutions qui survivront aux hommes’’, édicté un certain 19 juin se pérennise. La solution miracle n’existe pas sans un projet de société édictant clairement les grands lignes d’une refondation de l’État, un abandon des références surannées et une stratégie de développement avec des axes porteurs d’une modernisation des institutions et de l’appareil de gouvernance. Un autre constat affligeant montre que tous les départements ministériels continuent de travailler comme au siècle dernier alors qu’une reconfiguration à la lumière des nouveaux instruments technologiques et outils du management moderne, la digitalisation, la numérisation des documents, la robotisation (de quelques secteurs), la modernisation des équipements, etc…

C’est un gouffre sans fonds que de la gouvernance des institutions de la république. Les hommes et les femmes qui en ont la charge devront faire preuve d’imagination et de bon sens. Cela exige des qualifications en gestion des organisations et des ressources humaines, des compétences comportementales appropriées, un capital expérience et bien entendu des attitudes conforme à l’éthique, la morale, au respect des institutions et des citoyens d’où l’exigence d’une vraie sélection des candidats loin des quatre critères d’un passé récent ayant conduit à l’échec de bien des personnels réputés sérieuxet intègres il s’agit du clientélisme, de la cooptation, du népotisme, du régionalisme. La cupidité et la corruption ont atteint des niveaux jusque-là inégalés c’est pour cela qu’une rigueur sélective s’impose loin des méthodes empiriques. Le Hirak a fait une partie du travail de nettoyage en exigeant que tout doit être changé. Les effets de ce mouvement de masse se feront encore sentir pendant fort longtemps, en témoigne l’intérêt que lui ont accordé non seulement les tenants du pouvoir mais aussi les chancelleries, les gouvernements des pays amis ou adversaires et bien des instituts de recherches en sciences humaines, sociales et politiques.

Des institutions politiques et des affaires domestiques

Au-delà de ce qui précède et prenant appui sur les apports du Hirak et les effets du Covid19, la refonte de l’échiquier politique par une révision et une mise à jour de la loi organique portant organisations politiques est un impératif à considérer avec attention pour éviter de nouvelles dérives que généreraient l’actuel projet de texte. À brève échéance il est certes impératif de renouveler les institutions élues (action qui aurait dû se faire juste après l’élection présidentielle) APW, APC et Assemblée Nationale avec comme perspective le réaménagement administratif des régions et leur décentralisation accompagné d’une déconcentration des pouvoirs afin que les perspectives électorales soient agencées dans le temps et seulement comme période transitoire.

Des secteurs et des domaines d’activités à relégitimer

Tous les rouages de l’État ainsi que les partenaires étatiques et privés ont été intoxiqués par des agissements de prédateurs d’où un indice de satisfaction nul. Toutefois, malgré les condamnations des fraudeurs, corrupteurs et corrompus, l’éthique et la morale doivent redevenir des valeurs tangibles si l’on souhaite que les délits observés à ce jour ne se reproduisent. Du côté judiciaire, les magistrats inconséquents en charge des multiples dossiers rouges doivent être rapidement écartés. Cela doit se faire pour éviter que les règles de ‘’l’intouchabilité et de l’impunité’’ ne se perpétuent. Le faire c’est le prix à payer pour restaurer la confiance du citoyen. Du côté de l’administration il importe de réparer les dysfonctionnements dû au manque d’évaluation des actes de gestion des uns et des autres, à l’étouffement des structures de contrôles : IGF, Cour des comptes, fiscalité, etc.

Une économie à repenser

Tout le monde est d’accord pour une relance économique. Mais là aussi la question est de savoir comment procéder ? Certains suggèrent de s’inspirer du passé récent et de considérer avec attention les réalisations d’il y a quatre décennies en matière d’industrialisation. Or, le contexte est différent à plusieurs niveaux. L’État de délabrement du secteur ‘’industrialisant’’ peut être dissuasif notamment parce que la partie la plus lucrative, celle des hydrocarbures, n’a pas été épargnée par la corruption. Le prix du baril de pétrole, est aujourd’hui, au-dessus de la barre des 55$, et le pays a certes de quoi tenir le coup en dépit des risques encourus mais il n’y pas que le secteur de l’énergie et des hydrocarbures qui a un besoin pressant de réformes, de restructuration, d’innovation et de bonne gestion. Cependant, des dossiers importants nécessitent aussi un regard critique et urgent parce qu’ils concernent les générations futures, la santé publique, les affaires internationales et la modernisation de l’État…

De l’éducation nationale et des générations futures

L’avenir du pays réside dit-on dans les apprentissages et les savoirs dispensés aux générations futures. Le système éducatif du primaire à l’universitaire en passant par la formation professionnelle est l’un des plus intoxiqués des institutions. Une refonte radicale des programmes d’enseignement et des infrastructures s’impose. L’immobilier (Écoles, instituts et autres campus universitaires) et bien entendu le mobilier et les équipements divers datent du siècle dernier alors que nous sommes en plein dans l’ère de la digitalisation (source d’emplois réels).

La santé de la population passe par l’écoute des professionnels

Le Covid19 et bien avant lui les autres fléaux sanitaires ont fait que la médecine est à double vitesse avec un peuple qui se soigne en Algérie et ses dirigeants à l’étranger. Personne ne peut nier que la santé publique est à refonder tant les chantiers qui la concerne sont multiples, interreliés et complexes. Autant les institutions (organisation et fonctionnement) que les ressources humaines, le développement de leurs compétences et leurs perfectionnement, les questions d’hygiène, de salubrité et de sécurité des établissements hospitaliers en passant par les équipements spécialisés doivent être mis à niveau pour répondre aux besoins du citoyen (source de formations et d’emplois)

À l’ère de l’Intelligence Artificielle

De l’introduction de l’informatique (décennie ‘’70’’) à son déploiement même boiteux l’Algérie a été en progrès constants jusqu’à l’apparition de l’intelligence artificielle (IA) en ce début de millénaire mais des trous béants ont été observés comparativement à bien d’autres pays  qui ont suivi le parcours technologique depuis les premiers lancements des vaisseaux spatiaux et le premier alunissage de la sonde soviétique Luna 9 ainsi que celui d’Apollo avec Neil Armstrong US. Les technologies ont évolué à pas de géants et la numérisation des documents, la digitalisation et les autres technologies de l’information occupent les esprits des dirigeants conscients que ces apports sont cruciaux pour aller de l’avant et mieux répondre aux besoins des populations de leurs pays respectifs. En Algérie, à titre indicatif, les deux secteurs complémentaires que sont les institutions financières et bancaires constituent à n’en pas douter des océans de management mais aussi des aires de lancement pour la transformation non seulement des outils mais aussi des mentalités sans lesquels les progrès sont vains. Ils requièrent des dirigeants la confection d’états des lieux exhaustifs si ce n’est de diagnostics solides et des recommandations sérieuses à mettre en œuvre sans délai.

Sur le plan international   

Un pays, ce sont certes les affaires nationales qui accaparent l’intérêt des citoyens mais il y aussi les affaires internationales notamment celles des communautés nationales à l’étranger. Aucune des deux ne doit être négligée. Il existe des dossiers chauds qui font l'actualité et qui sont en négociation. Cependant, la manière de les traiter interpelle. L’Algérie a une longue tradition diplomatique héritée de la lutte de libération nationale mais, cette diplomatie a-t-elle les mêmes attributs, les mêmes compétences et aptitudes que celles du passé ? Oui et Non ! Regardons de près le grand délire du rapprochement d'Israël avec les pays du Golfe Arabe au détriment de la Palestine et du Sahara Occidental, l’Algérie a gardé la tête froide et a été fidèle aux principes qui sont les siens. Sa position envers ces pays a été sous tendue par le respect des peuples qui luttent pour leur indépendance. Toutefois, il reste que sur le fond la question des principes ne saurait aller sans un cadre de références à la fois immuables mais sur la forme ils doivent tenir compte des nouveaux rapports de force au sein des institutions internationales et des mises à niveau par diverses adaptations aux nécessités du 21ième siècle.

L’Afrique est dit-on le continent de l’avenir de l’Europe mais elle est parsemée de conflits armés, d’armées de mercenaires, de firmes internationales qui dilapident les richesses. À cela s’ajoute une présence dynamique et intense de la Chine. Tout semble stagner mais les forces étrangères n’offrent aucune solution durable pour les troubles du Sahel et le renouvellement des contingents d’islamistes.

L’Europe est un partenaire à considérer à l’aune des changements et des évolutions imposés par les effets du Brexit et des réponses aux nouvelles questions et effets dû à la pandémie du Covid19. L’Algérie devra compter avec la reconfiguration non seulement des partenariats mais aussi de toutes les frontières.

Concernant le reste du monde, des opportunités sont offertes pour que l’Algérie reconsidère ses partenariats avec une maîtrise du management des affaires. Il est cependant vrai que des questions peuvent être posées au-delà des liens historiques. Les gouvernants doivent se demander si en ce début du nouveau millénaire il existe des intérêts à avoir des relations commerciales avec les pays du golfe ou ceux de l’extrême Orient s’ils sont porteurs de bienfaits ou au contraire de litiges divers ? Est-ce le même protocole qu’il faut utiliser pour les pays de l’Europe de l’Est redessinés depuis le début des années 2000 ?  

Pour conclure, il reste deux sujets qui occupent certains esprits et déchainent les passions : l’histoire et la mémoire. Deux héritages patrimoniaux qui interpellent les consciences et les imaginaires. Certains disent que ce n’est pas le moment d’en faire cas d’autres considèrent que c’est l’heure de les explorer. Mais on sait que la compréhension et la perception des Algériens leur est propre et personne ne la changera d’un iota tant que ni l’une ni l’autre n’est soumise à l’étude sans complaisance non seulement dans les lieux appropriés mais aussi dans les cursus d’études de l’école primaire à l’université et que les quelques historiens sérieux les rendent accessibles au grand public.

Ferid Racim Chikhi

Analyste / GERMAN

Groupe de Réflexion Méditerranée Amérique du Nord 



[1] Analyse des menaces et défis de l’Algérie / Approche prospective GERMAN/01/2021.

 Aussi publié sur Algérie Patriotique : Algérie : la gouvernance de l’Etat et ses dossiers majeurs - Algérie Patriotique (algeriepatriotique.com)  

22 déc. 2020

Un Numide en Amérique du Nord - 343 -

 Contestation de la loi 21 :  Des bâtisseurs aux destructeurs …

Peut-on tolérer l'intolérable ? C'est là une question, qui au Québec, n’a pas de réponse spontanée. Pourtant, elle devrait être simple et sans équivoque parce que personne ne doit se laisser dire et imposer n'importe quoi par n'importe qui, sachant que seule la voix de la majorité s'impose. Mais, soyons réaliste et disons que c’est l’impression qui se dégage depuis que les audiences sur la loi 21 portant laicité de l’État Québécois sont terminées et qu’elles ont été révélatrices de dysfonctionnements divers et fondamentaux en ce qui a trait à la justice en particulier et à des médias du Québec.

Pour les médias, qui disent avoir le devoir d’informer, il s’avère que si les anglophones prennent position pour le multiculturalisme et les soi-disant minorités victimes des lois du Québec, les francophones, à quelques exceptions près, en font de même en évitant d’informer sur les positions des parties qui soutiennent la loi 21.

Ce qui a été observé, c’est le manque visible d’impartialité dont devrait faire preuve le magistrat en charge de ce dossier. Il montre un parti pris visible en faveur de plaignants connus pour leur activisme contre tout ce qui est la législation du Québec. Il en fait de même en faveur des avocats dont l’un a été ignominieux. Le magistrat en question n’a émis ni réserve, ni rappelé à l’ordre de ce ‘’professionnel’’ de la défense des causes outrancières.

Le 18 décembre 2018, j’ai commis une réflexion publiée par le Huffington post Québec, sous l’intitulé ‘’Le Québec entre le sécularisme et la laïcité [1]’’, j’y mentionnais entre autres que ‘’Même si le multiculturalisme est fortement remis en question en Europe, celui du Canada n’est pas conciliable avec la laïcité, alors qu’il l’est avec le sécularisme’’.

Une identité et des valeurs stables

Je soutiens que dès le début de mes pérégrinations au Québec, j'ai été impressionné par les noms des saints donnés aux rues ainsi que par le nombre d'églises éparpillées, ici et là, comme le sont les milliers de mosquées en Algérie ou ailleurs dans le monde arabo-musulmans. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces églises sont vides. J'ai cherché à comprendre et la réponse a été globalement la suivante : depuis la Révolution tranquille, la religion a été « tassée », pour reprendre une expression bien québécoise qui veut dire poussée dans ses derniers retranchement. Le taux de pratique est presque nul.

Je poursuivais qu’une déconfessionnalisation inachevée n'est pas la laïcité, j'ai évoqué brièvement des aspects de l'histoire du Québec en rapport avec l'Église. J'ai appuyé le fait que, selon ma perception, la Révolution Tranquille avait été le creuset de la construction d'une nouvelle identité nationale québécoise et une rupture décisive entre l'Église et l'État. Mais, si l'identité et les valeurs sont, à quelques exceptions près, assez stables, il n'en demeure pas moins que des remises en question récurrentes se font entendre. Elles fissurent l'édifice fragile de la laïcité naissante et une idéologie mortifère en pleine expansion tente de la requalifier.

Je me suis souvenu de mon cours de sociologie et cet énoncé avec lequel j’ai conclu un de mes exposés en cours : l'étude d'une société n'est pas seulement une problématique avec des hypothèses, mais un champ d'observations avec des évolutions et des stagnations sociales et aussi des ancrages à des dogmes qui souvent sont des freins à sa progression. Il y a aussi et surtout des acteurs politiques, culturels et sociaux, et plus ils sont libres dans l'expression de leurs pensées et de leurs actes, plus cette société est harmonieuse, mais lorsque les acteurs cultuels sortent de leurs champs d'intervention ... apparaissent des contingences qui en perturbent et amoindrissent la modernisation.

Leur but est d’ébranler la cohésion sociétale

Selon mon constat, au Québec, si le Christianisme a été réduit, trois valeurs sociales forment un héritage bien ancré dans la population : la solidarité, la générosité et le partage, y compris celui du territoire. Venant d'ailleurs, j'ai compris qu'ils répondent à d'autres schémas de lecture que les miens. Il est aussi avéré qu’en raison d'un multiculturalisme imposé, la place des autres religions et à leurs pratiquants venus d'Amérique Latine, d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient sont fortement encouragés par le Canada. Malheureusement, il y a aussi une brèche par laquelle s'invitent subrepticement des activistes fanatisés, qui pour se rendre visibles, n'hésitent pas à judiciariser leurs relations avec la société d'accueil, arguant des libertés individuelles au point d'ébranler la cohésion sociétale.

J'ai pris le résolution de revisiter les thèmes en lien avec la religion, avec la laïcité et d'échanger avec mes amis Québécois et j'en ai conclu que si le sécularisme et la laïcité sont presque antagoniques, l'interculturalisme Québécois est compatible avec la laïcité, ce qui n’est pas le cas pour le sécularisme. Dans le même processus de réflexion, une question m'est venue à l'esprit : Est-ce que les Québécois font la distinction entre le sécularisme et la laïcité ou au contraire, sont-ils dans la confusion ? Il me semble que jusqu'à nos jours, la réponse est teintée d'un amalgame généré par la rectitude politique, c'est-à-dire éviter toute formulation pouvant heurter certains groupes communautaires. Cependant, trois paramètres viennent remettre en question ce consensus : les risques de la désagrégation de l’identité collective, celle de la langue française ou encore celle de l’unité francophone partagée.

À vrai dire, hormis quelques intellectuels, les membres et les sympathisants du Mouvement Laïque Québécois (MLQ), de l'Association des Humanistes du Québec et des Libres Penseurs et Athées …, qui distinguent la nuance entre les différents concepts, les autres ne semblent pas en avoir pris conscience.

Le sécularisme (anglicisme) est un synonyme d'athéisme

Bien entendu, la laïcité est une forme de sécularité. Elle prétend réguler au nom de l'universalisme. Mais, nous disent des philosophes, il ne faut pas la confondre avec le sécularisme (anglicisme) qui est un synonyme d'athéisme.

Dans leurs démarches multiformes, des illusionnés religieux, profitant de l'entrisme et de l'activisme des islamistes, s'érigent à réduire l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, à revisiter la mixité, à refonder les programmes scolaires ... à adapter le système de sélection des candidats par les institutions et les entreprises, et finalement à assortir à leur seule conception les relations sociales et bien d'autres aspects du vivre ensemble. En fait, ils ciblent tout ce qui fait la singularité de la société québécoise, c'est-à-dire la nation, la citoyenneté, le développement social harmonieux initié depuis début de la Révolution tranquille.

Au Québec, en particulier là où le rôle de l'Église a été « éloignée » pour des raisons historiques telle que l'immixtion généralisée dans la vie privée des citoyens, la déconfessionnalisation a fait son cheminement, mais n'a pas atteint tous les objectifs assignés par la Révolution tranquille, notamment la formalisation de la laicité, cette laicité que les nouveaux prédicateurs agressent sans ménagement. Le juge Blanchard leur donnera t’il raison ? La réponse en février 2021.

Ferid Racim Chikhi  

15 déc. 2020

Un Numide en Amérique du Nord - 342 -

La perte de sens, Karn Arb’atache [1] ou la transition Hégirienne

Partant des nouvelles pratiques étranges et étrangères apparues en Algérie depuis le début des années ‘’80’’ et qui se sont consolidées au fur et à mesure que le temps passait, la problématique de la tradition musulmane des Algériens a complètement été altérée. Elle qui occupait les esprits saints des Algériens depuis des siècles n’a pas résisté à l’infiltration et l’expansionnisme islamiste. Les institutions publiques et privées, les espaces publics, les familles, les lieux du savoir et ceux du culte n’ont pas été épargnés. Un survol succinct de ces changements majeurs en revisitant l’histoire tout en abordant l’actualité me semble approprié en cette période de perte de sens.

Oui, ‘’la perte de sens’’, disaient avec ironie une de mes grandes tantes maternelles et la

Grand-mère de mon épouse, la perte de sen oblige le musulman contemporain à faire du surplace et/ou à se perdre dans un passé qu’il n’a pas connu et qu’il ne connaitra jamais. Pour faire terre à terre, je me souviens des récits que ne manquaient pas de rappeler les plus âgés d’entre-nous au sujet du passage du siècle en cours - correspondant, selon le calendrier Grégorien, à la fin de l’année 2018 - vers le suivant - ou mieux encore la transition vers le 21ième. - Pour les musulmans, selon le calendrier Hégirien, il s’agit du passage du 14ième vers le 15ième siècle.

De nouveaux paradigmes sociétaux

À cette époque (Fin des années ‘’50 ‘’ et début des ‘’60’’) j’étais passionné par cette perte de sens même si je n’en comprenais pas la portée, surtout que pour moi le sens c’était la direction et la direction c’étaient les points cardinaux qui, pour moi, étaient immobiles. Nous cherchions une direction, la boussole faisait le travail en pointant son aiguille vers le ‘’Nord’’. En fait, j’avais du mal à en saisir la signification. Pourtant, aujourd’hui, je peux m’avancer à dire que, parmi tant d’autres, je suis un témoin de cette perte de sens. En raison de nouveaux paradigmes sociétaux et des dérives religieuses diffusées par les pays du Golfe et leur guéguerre entre Sunnites et Chiites ainsi que par leurs alliés intéressés plus par le gain détourné que par le devenir des musulmans. Tous ces antagonistes ont perdu le sens de la mesure. Ils ont aussi perdu le chemin de la ligne médiane. Ils préfèrent s’attacher aux extrémismes ceints par les dogmes imposés par des prédicateurs bornés, chauvins, ethnocentristes, rétrogrades, xénophobes et, le pire de tout, misogynes. Les apprentissages des sciences et du savoir en général ne font pas partie de leurs environnement.

Adolescent, j’ai souvent entendu deux phrases fréquemment répétées pour qualifier un fait social inhabituel. Elles étaient toujours énoncées par des personnes qui ne respectaient pas le cadre de références habituellement mis de l’avant d’une façon consensuelle. J’entendais : ‘’… Fnette Eddania (C’est la fin du monde) … Ah ! Hajuj Oua Majuj (ces pourris de la fin des temps…’’ et ‘’ … Hadha Karn Arba’tache (c’est ça le 14ième siècle) … ‘’.  C’était pour moi un langage ésotérique mais qui a toujours existé et qui faisait partie de la mémoire transmise par l’oralité ambiante. 

De nouvelles pratiques étranges et étrangères 

Pour illustrer ce qui précède, quelques éléments tangibles sont à retenir. A cette époque - il y a de cela plus d’un demi-siècle – et jusqu’à la fin des années ‘’70’’ les pèlerins de retour de la Mecque offraient des petites fioles contenant de l’eau de Zemzem, de l’encens, des chapelets, des tapis de prière ; rares étaient celles et ceux qui offraient le Coran. Bien entendu, cela dépendait des moyens de chacune et de chacun. Mais, souvent pour compenser le manque de ces produits, c’était la Baraka du Hadji et de sa compagne qui était offerte à tous ceux qui les visitaient. Le meilleur consistait en des narrations de ce qu’ils/elles ont vécu durant leur séjour aux lieux saint de l’Islam.

Au début de la décennie suivante, ce que nous commencions à observer, c’étaient essentiellement quelques vêtements saoudiens portés par les hadjis ou encore par des jeunes devenus mercenaires après avoir rejoint l’Afghanistan et revenus de Djeddah. L’observance des accoutrements des premiers était, jusqu’à une certaine limite convenable, puisque très tôt l’habit traditionnel reprenait le dessus. En revanche, pour les seconds, venus tout droit de Peshawar - (situé à la frontière du Pakistan et de l’Afghanistan) - leur accoutrement était devenu leur costume représentatif d’un lieu étranger à l’Algérie et qui étaient dans plusieurs mosquées. En fait, ils étaient en mission de la Daawa. Ce costume leur octroyait un certain statut qui ne plaisait pas à tout le monde et tous pensaient que c’était une mode qui disparaitrait rapidement. En fait, le pire, non pas seulement dans l’habillement qui sortait de l’ordinaire mais aussi dans la pratique, c’étaient les nouvelles habitudes de vie que ces ‘’mercenaires et leurs femmes’’, imposent à tous et surtout à toutes les femmes par des prêches salafistes. Cela se passait, particulièrement lors des cérémonies et autres rituels traditionnels : prières, funérailles, circoncisions et autres mariages. La femme devenait invisible dans le groupe ‘’guidé’’ par l’homme.  

Pour expliquer une de ces pratiques, je me souviens de l’anecdote suivante : Une dame âgée, les 80 ans passés, se dirigeait vers la salle de bain pour faire ses ablutions. Une jeune femme, la trentaine bien assumée et fraîchement revenue de son petit pèlerinage de la Mecque (Omra[2]), bien entendu portant hijab, la suit, et au moment où la dame âgée allait placer son pied droit dans une cuvette pour faire ses ablutions, la jeune femme joignant le ‘’cri’’ à la parole, lui indique qu’elle doit d’abord commencer par laver son pied gauche pour chasser le diable, (Ah ! Ce diable qui depuis toujours peuplait les échanges entre les individus en apparaissant sans crier gare et presque tout le temps du côté gauche de la personne). La vieille dame, connue comme une pince-sans-rire, lui répondit du tac-au-tac : ‘’Ah ! tu m’as fait peur, j’ai cru que c’était toi le diable’’. La jeune fille a tenté de s'excuser de l’avoir ‘’troublée’’ mais l'octogénaire, lui ordonna sèchement de la laisser tranquille. Quelques personnes qui avaient accouru pour connaitre les raison du ‘’cri’’, s’en prirent à la jeune femme et l’invitèrent à stopper ses conseils.

La vieille dame, retourna à sa chambre, fit sa prière et revint au salon, où toutes les invitées étaient à l’écoute attentives du prêche déclamé par la jeune femme. La Grand-mère s'adressa à l’auditoire quasi silencieux et lui dit avec une espièglerie à peine voilée : ‘’Quoi, vous ne voulez plus écouter mes hikayates (contes) et vous pensez apprendre d’elle des khorayfetes (fables). C’est ce qu’on appelle Karn Arb’atache (le 14ième siècle) ! Akhir Eddounia (la fin du monde) ! La jeune hijabisée, visiblement très fâchée, se leva et quitta la maison. 

Ya'juj et Ma'jûj[3] et Dhû L Qarnayn[4]

Des événements semblables étaient devenus monnaie courante. Ils marquaient l’apparition de pratiques étranges et étrangères à l’Islam d’Algérie, aux traditions, aux Us & Coutumes du pays. Ce qui était aussi valable pour presque tous les pays arabo-musulmans. Le Wahhabosalafisme infiltrait les sociétés et les vidait de leurs traditions, de leurs cultures, de leurs pratiques cultuelles. C’est là que la ‘’fin de tous les temps’’ prend du sens. Selon quelques-uns de mes aînés, Karn Arb’atache marque non seulement la fin d’un siècle mais il configure l’avènement d’un autre. Le mieux dans cette situation est que cette transition façonne aussi des changements majeurs structurants non seulement dans les pays arabo-musulmans mais aussi dans le reste du monde, là où les musulmans forment une minorité victimisante.

Pour conforter ou au contraire déconstruire cette idée, une analogie serait, me semble-t-il appropriée ; en effet, selon le Coran, Dhou El Qarnayn, qui aurait été Alexandre le Grand aurait vécu durant la seconde partie de son siècle et le suivant d’où la référence aux deux siècles (Karnayne) correspondant à 326 av/JC - ce qui semble improbable vu l’âge de son décès à 36 ans. La période en question, selon le calendrier Hégirien, chevauchait deux siècles. Le problème c’est qu’à son époque l’Islam n’existait pas. En revanche, je préfère ce que m’ont légué mes aînés qui considéraient que Dhou El Qarnayne était bien Alexandre le Grand, l’empereur qui partit de l’Occident pour conquérir l’Orient, a su régner sur les deux

bouts du monde. Une de ses œuvres de conquérant et autocrate aurait été le mur qu’il a érigé pour stopper les Ya'juj et Ma'juj (Gog et Magog) Un peuple de corrompus et de violents. Signe annonciateur de la proximité de la fin des temps, ils se heurtèrent au génie de Dhou El Qarnayn. Durant cette période, la nôtre, c’est-à-dire Karn Arb’atache, on verra le ‘’Massih ad Dajjal [5]’’. Il correspondrait, par exemple, à un certain Trump qui aurait voulu bâtir son mur comme Dhûl Qarnayn. Les Ya'juj et Ma'juj seraient les migrants sud-américains ou, peut-être, les chinois qui immigrent partout dans le monde. (Non ! Là, je fais dans la dérision). 

De la tradition musulmane à la pratique islamiste

Finalement, on peut s’écrier : Ah ! Les Arabo-Musulmans, mais bien entendu pas tous les musulmans, sont encore et toujours en ‘’UNE’’ de l’actualité en ce début de 21ième siècle. Ils prennent de la place dans les unes des quotidiens, les écrans télés, les radios … et bien entendu les réseaux sociaux. L’Islam, ses musulmans et surtout ses islamistes prennent une place dominante dans l’information, l’analyse, les commentaires et les débats des médiums. Heureusement et en dépit de diverses tentatives d’homogénéisation, y compris par la coopération - œuvre des États islamiques (OCI) selon la charte de l’Isesco (Doha) - les Arabo-musulmans forment toujours des communautés diversifiées, hétérogènes et plurielles. Chacune d’elle se présente avec de multiples facettes identitaires, culturelles, sociales et économiques. Des blocs segmentés, constitués en silos, placés les uns à côté des autres, indépendants mais bien reliés par les cinq piliers de l’Islam. Ils donnent l’impression d’être consensuels avec l’imposition de l’Arabe comme langue commune et l’Islam Sunnite comme la religion de tous, pourtant, les divergences sont avérées, incontestables et elles se justifient, ne serait-ce que par l’Histoire des peuples. Leur Histoire avant l’avènement de l’Islam. Le mieux est que les traditions musulmanes par leur intelligence, leur tolérance et leur indépendance offrent à leurs citoyens la capacité et la possibilité de ne pas pratiquer mais seulement d’en faire partie.

Bien des paramètres (les piliers et les préceptes de base de l’Islam) rattachent les musulmans les uns aux autres mais bien d’autres (les cultures, les langues premières, les Us & Traditions locales) les distinguent aussi, les uns des autres et lorsque les islamistes façonnés dans les laboratoires occidentaux dans le but de barrer la route au communisme, ils ont été renvoyés dans leurs pays d’origine pour participer dans le jeu de la mondialisation à leur affaiblissement en menant une guerre absurde et mortifère contre leurs civils. Dès lors, la perte de sens s’est généralisée. Aujourd’hui, une normalisation de relations entre les pseudo-puissances des pétrodollars et ce qui était encore hier et en surface leur ennemi juré, Israël, son concepteur le Sionisme avec la bénédiction du Royaume Uni, la majorité des pays arabes se gargarise de la nouvelle géopolitique qui favorise une nouvelle configuration du MENA, remplaçant les accords Sykes-Picot de 1916, signés entre, encore une fois le Royaume-Uni et la France et qui avait été un prélude au dépeçage de l'Empire ottoman. Cet accord étant arrivé à son échéance, ce sont les USA qui en sont les maîtres d'œuvre. Il faut reconnaître que le président sortant a réussi son deal en ciblant les intérêts des uns et des autres.

Les faux frères et les amis silencieux

Dans les pays arabes, les régimes en place alliés au mouvement islamiste sont les instruments de la déliquescence des gouvernants en place et ils sont à l’origine de cette perte de sens généralisée et jamais égalée.  Nous sommes déjà, au début de la cinquième décennie du siècle hégirien (1441) et à la fin de la seconde du nouveau millénaire Grégorien (2020) pourtant aucune des deux hypothèses ne s’est confirmée. Cependant, bien des choses ont changé, un pan entier du MENA vit les effets d’une guerre généralisée et peine à se redresser ; des pays musulmans du golfe arabe, à quelques exceptions près, serrent la main de l’État d’Israel et trahissent l’idéal, si idéal il y avait, d’une unicité fictive ; le Maroc reçoit le soutien des pétromonarchies arabes mais pas celui des pays musulmans de l’Asie orientale et obtient en contrepartie la mise en œuvre du fait accompli pour poursuivre la colonisation du Sahara Occidental ; le Sahel brûle à petit feu sous la supervision de la France et de ses alliés alors que selon l’éditorial d’El Djeich (08/12/20) les militaires Algériens appellent le peuple à la vigilance et aux risques extérieurs auxquels, de toutes façons, beaucoup parmi eux ont peut-être contribué en étant convaincu qu’ils sont intouchables ; le Hirak a été stoppé net par le Covid19 mais ses effets sont à examiner et à méditer dans le court terme tout en ayant à l’esprit une anticipation  sur le statut tant territorial que citoyen du pays. Où qu’il soit l’Algérien doit se saisir des synergies que le Hirak a généré afin que la démocratie et la gouvernance du pays soit citoyenne et notamment citoyenne. Le temps, les stratégies, les politiques de bien des pays semblent avoir attribué des faveurs à ceux qui ont fait appel à leurs intelligentsias et poussé dans le coin de l’échiquier mondial ceux qui ont ignoré les leurs. Le monde change et même si aux frontières les incertitudes son bien présentes elles sont aussi mères de toutes les tempérances.

Ferid Racim Chikhi


[1] Le 14ième siècle Hégirien correspondant au 21ième siècle Grégorien

[2] La Omra est un petit pèlerinage à la Mecque qui se faire tous les mois de l'année. Il est néanmoins recommandé de le faire pendant le mois de ramadan.

[3]   Gog et Magog (Ya'juj et Ma'juj) : Cités deux fois dans le Coran à propos du récit de Dhu-l-Qarnayn (S18 V94) et étant un signe annonciateur de la proximité de la Fin des temps (S21 V96) et Sourate 21 Al-Anabiya (Les Prophètes).

[4] Dhou El Qarnayn = celui qui a vécu durant les deux siècles (la fin du précédent et le début du nouveau). Beaucoup le considèrent comme étant Alexandre le Grand. "Celui des deux cornes". Dans le Coran, la Sourate Al-Kahf, les Ayahs 83-101 le cite comme étant celui qui voyage vers l'est et l'ouest.  El Qarn = le siècle.

[5] Le faux messie, menteur, le trompeur serait une figure maléfique de l’eschatologie islamique. Il est dit qu’il apparaîtrait de l’Est … Orient. Il est comparable à la compréhension chrétienne de l’apparition de l’Antéchrist dans l’eschatologie chrétienne.


Un Numide en Amérique du Nord - 381 -

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