Algérie : La gouvernance de l’État et ses dossiers majeurs
“Lorsque
tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui voudraient faire
la même chose, ceux qui voulaient le contraire, et l’immense majorité de ceux
qui ne voulaient rien faire.”
Sun Tzu
Les segments de réflexions qui suivent sont extraits d’une analyse de quelques menaces et défis [1] qui confrontent l’Algérie en ce début de l'année 2021. Que l’on soit pour ou contre le Président Tebboune et son élection, il est essentiel de considérer avec minutie les incertitudes et les risques générés par deux décennies de non-gouvernance, de corruption et de gabegie ainsi que le potentiel de résolution de leurs conséquences. Se pose alors une question simple mais dont la réponse est complexe : Comment procéder ou encore quelles sont les marges de manœuvres des gouvernants face à cet océan d’inconséquences ?
Des solutions et des principes de résolution
Plusieurs experts proposent ou
suggèrent des réponses mais aucune ne semble convenir soit parce qu’elles sont
incongrues soit parce qu’elles sont trop théoriques. Je ne sais plus qui est
l’auteur de la citation suivante mais elle se vérifie tous les jours en
Algérie : “un expert est quelqu’un qui a commis toutes les erreurs
possibles, dans un domaine restreint.” Nous savons tous que les deux
dernières décennies ont été catastrophiques et seules quelques institutions
sont à l’œuvre des correctifs en cours comme le montre le ministère de la
défense nationale par ses alertes sur les contingences géostratégiques
auxquelles fait face le pays. Mis à part l’épisode des officiers arrêtés pour
de multiples raisons, il lui reste de la crédibilité auprès du citoyen. Le
gouvernement de son côté élabore des stratégies de sortie de crise malgré le
déficit d’expérience de ses membres et des bévues qu’ils commettent à chaque
prise de parole. Pendant ce temps le précepte selon lequel ‘’des
institutions qui survivront aux hommes’’, édicté un certain 19 juin se
pérennise. La solution miracle n’existe pas sans un projet de société édictant
clairement les grands lignes d’une refondation de l’État, un abandon des
références surannées et une stratégie de développement avec des axes porteurs
d’une modernisation des institutions et de l’appareil de gouvernance. Un autre
constat affligeant montre que tous les départements ministériels continuent de
travailler comme au siècle dernier alors qu’une reconfiguration à la lumière
des nouveaux instruments technologiques et outils du management moderne, la
digitalisation, la numérisation des documents, la robotisation (de quelques
secteurs), la modernisation des équipements, etc…
C’est un gouffre sans fonds que
de la gouvernance des institutions de la république. Les hommes et les femmes
qui en ont la charge devront faire preuve d’imagination et de bon sens. Cela
exige des qualifications en gestion des organisations et des ressources
humaines, des compétences comportementales appropriées, un capital expérience
et bien entendu des attitudes conforme à l’éthique, la morale, au respect des
institutions et des citoyens d’où l’exigence d’une vraie sélection des
candidats loin des quatre critères d’un passé récent ayant conduit à
l’échec de bien des personnels réputés sérieuxet intègres il s’agit du
clientélisme, de la cooptation, du népotisme, du régionalisme. La cupidité et
la corruption ont atteint des niveaux jusque-là inégalés c’est pour cela qu’une
rigueur sélective s’impose loin des méthodes empiriques. Le Hirak a fait une
partie du travail de nettoyage en exigeant que tout doit être changé. Les
effets de ce mouvement de masse se feront encore sentir pendant fort longtemps,
en témoigne l’intérêt que lui ont accordé non seulement les tenants du pouvoir
mais aussi les chancelleries, les gouvernements des pays amis ou adversaires et
bien des instituts de recherches en sciences humaines, sociales et politiques.
Des institutions politiques et
des affaires domestiques
Au-delà de ce qui précède et
prenant appui sur les apports du Hirak et les effets du Covid19, la refonte de
l’échiquier politique par une révision et une mise à jour de la loi organique
portant organisations politiques est un impératif à considérer avec attention
pour éviter de nouvelles dérives que généreraient l’actuel projet de texte. À
brève échéance il est certes impératif de renouveler les institutions élues
(action qui aurait dû se faire juste après l’élection présidentielle) APW, APC
et Assemblée Nationale avec comme perspective le réaménagement administratif
des régions et leur décentralisation accompagné d’une déconcentration des
pouvoirs afin que les perspectives électorales soient agencées dans le temps et
seulement comme période transitoire.
Des secteurs
et des domaines d’activités à relégitimer
Tous les rouages de l’État ainsi
que les partenaires étatiques et privés ont été intoxiqués par des agissements
de prédateurs d’où un indice de satisfaction nul. Toutefois, malgré les condamnations
des fraudeurs, corrupteurs et corrompus, l’éthique et la morale doivent
redevenir des valeurs tangibles si l’on souhaite que les délits observés à ce
jour ne se reproduisent. Du côté judiciaire, les magistrats inconséquents en
charge des multiples dossiers rouges doivent être rapidement écartés. Cela doit
se faire pour éviter que les règles de ‘’l’intouchabilité et de l’impunité’’
ne se perpétuent. Le faire c’est le prix à payer pour restaurer la confiance
du citoyen. Du côté de l’administration il importe de réparer les
dysfonctionnements dû au manque d’évaluation des actes de gestion des uns et
des autres, à l’étouffement des structures de contrôles : IGF, Cour des
comptes, fiscalité, etc.
Une économie à repenser
Tout le monde est d’accord pour
une relance économique. Mais là aussi la question est de savoir comment
procéder ? Certains suggèrent de s’inspirer du passé récent et de
considérer avec attention les réalisations d’il y a quatre décennies en matière
d’industrialisation. Or, le contexte est différent à plusieurs niveaux. L’État
de délabrement du secteur ‘’industrialisant’’ peut être dissuasif
notamment parce que la partie la plus lucrative, celle des hydrocarbures, n’a
pas été épargnée par la corruption. Le prix du baril de pétrole, est aujourd’hui,
au-dessus de la barre des 55$, et le pays a certes de quoi tenir le coup en
dépit des risques encourus mais il n’y pas que le secteur de l’énergie et des
hydrocarbures qui a un besoin pressant de réformes, de restructuration,
d’innovation et de bonne gestion. Cependant, des dossiers importants
nécessitent aussi un regard critique et urgent parce qu’ils concernent les
générations futures, la santé publique, les affaires internationales et la
modernisation de l’État…
De
l’éducation nationale et des générations futures
L’avenir du pays réside dit-on
dans les apprentissages et les savoirs dispensés aux générations futures. Le
système éducatif du primaire à l’universitaire en passant par la formation
professionnelle est l’un des plus intoxiqués des institutions. Une refonte
radicale des programmes d’enseignement et des infrastructures s’impose.
L’immobilier (Écoles, instituts et autres campus universitaires) et bien
entendu le mobilier et les équipements divers datent du siècle dernier alors
que nous sommes en plein dans l’ère de la digitalisation (source d’emplois
réels).
La santé de
la population passe par l’écoute des professionnels
Le Covid19 et bien avant lui les
autres fléaux sanitaires ont fait que la médecine est à double vitesse avec un
peuple qui se soigne en Algérie et ses dirigeants à l’étranger. Personne ne
peut nier que la santé publique est à refonder tant les chantiers qui la concerne
sont multiples, interreliés et complexes. Autant les institutions (organisation
et fonctionnement) que les ressources humaines, le développement de leurs
compétences et leurs perfectionnement, les questions d’hygiène, de salubrité et
de sécurité des établissements hospitaliers en passant par les équipements
spécialisés doivent être mis à niveau pour répondre aux besoins du citoyen
(source de formations et d’emplois)
À l’ère de
l’Intelligence Artificielle
De l’introduction de l’informatique (décennie ‘’70’’) à son déploiement même boiteux l’Algérie a été en progrès constants jusqu’à l’apparition de l’intelligence artificielle (IA) en ce début de millénaire mais des trous béants ont été observés comparativement à bien d’autres pays qui ont suivi le parcours technologique depuis les premiers lancements des vaisseaux spatiaux et le premier alunissage de la sonde soviétique Luna 9 ainsi que celui d’Apollo avec Neil Armstrong US. Les technologies ont évolué à pas de géants et la numérisation des documents, la digitalisation et les autres technologies de l’information occupent les esprits des dirigeants conscients que ces apports sont cruciaux pour aller de l’avant et mieux répondre aux besoins des populations de leurs pays respectifs. En Algérie, à titre indicatif, les deux secteurs complémentaires que sont les institutions financières et bancaires constituent à n’en pas douter des océans de management mais aussi des aires de lancement pour la transformation non seulement des outils mais aussi des mentalités sans lesquels les progrès sont vains. Ils requièrent des dirigeants la confection d’états des lieux exhaustifs si ce n’est de diagnostics solides et des recommandations sérieuses à mettre en œuvre sans délai.
Sur le plan
international
Un pays, ce sont certes les affaires
nationales qui accaparent l’intérêt des citoyens mais il y aussi les affaires
internationales notamment celles des communautés nationales à l’étranger.
Aucune des deux ne doit être négligée. Il existe des dossiers chauds qui font
l'actualité et qui sont en négociation. Cependant, la manière de les traiter
interpelle. L’Algérie a une longue tradition diplomatique héritée de la lutte
de libération nationale mais, cette diplomatie a-t-elle les mêmes attributs,
les mêmes compétences et aptitudes que celles du passé ? Oui et Non !
Regardons de près le grand délire du rapprochement d'Israël avec les pays du
Golfe Arabe au détriment de la Palestine et du Sahara Occidental,
l’Algérie a gardé la tête froide et a été fidèle aux principes qui sont les siens.
Sa position envers ces pays a été sous tendue par le respect des peuples qui
luttent pour leur indépendance. Toutefois, il reste que sur le fond la question
des principes ne saurait aller sans un cadre de références à la fois immuables
mais sur la forme ils doivent tenir compte des nouveaux rapports de force au
sein des institutions internationales et des mises à niveau par diverses
adaptations aux nécessités du 21ième siècle.
L’Afrique est dit-on le continent
de l’avenir de l’Europe mais elle est parsemée de conflits armés, d’armées de
mercenaires, de firmes internationales qui dilapident les richesses. À cela
s’ajoute une présence dynamique et intense de la Chine. Tout semble stagner
mais les forces étrangères n’offrent aucune solution durable pour les troubles
du Sahel et le renouvellement des contingents d’islamistes.
L’Europe est un partenaire à
considérer à l’aune des changements et des évolutions imposés par les effets du
Brexit et des réponses aux nouvelles questions et effets dû à la pandémie du
Covid19. L’Algérie devra compter avec la reconfiguration non seulement des
partenariats mais aussi de toutes les frontières.
Concernant le reste du monde, des
opportunités sont offertes pour que l’Algérie reconsidère ses partenariats avec
une maîtrise du management des affaires. Il est cependant vrai que des
questions peuvent être posées au-delà des liens historiques. Les gouvernants
doivent se demander si en ce début du nouveau millénaire il existe des intérêts
à avoir des relations commerciales avec les pays du golfe ou ceux de l’extrême
Orient s’ils sont porteurs de bienfaits ou au contraire de litiges divers
? Est-ce le même protocole qu’il faut utiliser pour les pays de l’Europe de
l’Est redessinés depuis le début des années 2000 ?
Pour conclure, il reste deux
sujets qui occupent certains esprits et déchainent les passions : l’histoire et
la mémoire. Deux héritages patrimoniaux qui interpellent les consciences et les
imaginaires. Certains disent que ce n’est pas le moment d’en faire cas d’autres
considèrent que c’est l’heure de les explorer. Mais on sait que la
compréhension et la perception des Algériens leur est propre et personne ne la
changera d’un iota tant que ni l’une ni l’autre n’est soumise à l’étude sans
complaisance non seulement dans les lieux appropriés mais aussi dans les cursus
d’études de l’école primaire à l’université et que les quelques historiens
sérieux les rendent accessibles au grand public.
Ferid Racim Chikhi
Analyste
/ GERMAN
Groupe de Réflexion Méditerranée Amérique du Nord
[1] Analyse des menaces et
défis de l’Algérie / Approche prospective GERMAN/01/2021.